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Ces difficultés, qu’il n’était pas aisé de vaincre en Asie, se rencontraient-elles, en Crète, au même degré ? Il en existait du même ordre, mais elles n’étaient pas insurmontables. La France, nous pouvons le dire, s’est cordialement employée à les aplanir. La Crète pouvait être dotée d’un régime de faveur sans mettre en péril l’existence de l’empire ottoman, et cette combinaison se conciliait parfaitement avec le principe fondamental de notre politique en Orient. Un précédent nous y conviait. Les flottes réunies de la France, de la Russie et de l’Angleterre ont détruit celle de la Turquie à Navarin, et, pour contribuer à l’affranchissement de la Grèce, le gouvernement de la Restauration, à la demande ou avec l’assentiment des cabinets de Londres et de Saint-Pétersbourg, a consenti à envoyer en Morée un corps d’occupation. L’œuvre s’est accomplie, de l’accord unanime des trois puissances, sans susciter aucune mésintelligence ni aucune inquiétude. Pourquoi ? Parce qu’aucune d’entre elles n’y apportait de visées ambitieuses ou déguisées, et que le droit public, à ce moment, n’avait pas encore perdu l’autorité qu’il doit avoir comme garantie des rapports internationaux.

Quelle était la tâche des puissances en Crète et de quels moyens pouvaient-elles disposer pour s’en acquitter sans préjudice pour aucune d’entre elles ? Elles avaient mis l’œuvre en bonne voie et elles l’avaient fort simplifiée en obtenant de la Porte que l’île serait placée sous un régime d’autonomie absolue. Dès ce moment, rien ne les empêchait de procéder sans retard à l’inauguration des nouvelles institutions ; pour y parvenir, il était indispensable de contraindre la Turquie et la Grèce à s’y conformer elles-mêmes à tous égards. Dans la Méditerranée, la force, s’il fallait y recourir, était d’un emploi facile comme en octobre 1827, et on était assuré d’un succès rapide. La Turquie ne conservant qu’un titre de suzeraineté et la Crète devant pourvoir elle-même à la sûreté publique, la Porte n’avait plus à y entretenir de force armée et elle avait le devoir de rappeler ses troupes. L’île acquérant une existence propre, la Grèce n’avait plus aucune raison plausible d’y exercer une action quelconque ; les cabinets étaient donc fondés à inviter l’une et l’autre puissances à se renfermer dans les limites de leurs droits respectifs ; ils auraient pu, ou plutôt ils auraient dû, pouvons-nous dire, inaugurer les privilèges concédés aux Crétois. La Crète avait été remise en dépôt entre leurs mains, suivant l’expression employée dans la correspondance