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Cette nouvelle édition d’un plan souvent remanié eut-elle une meilleure fortune que les précédentes ? Nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que les efforts incessans de la diplomatie européenne n’ont abouti à aucun résultat appréciable. On n’immole plus les chrétiens en masse, comme si les auteurs des forfaits accomplis avaient besoin de reprendre haleine, de refaire leurs forces épuisées ! Mais ils jouissent de la plus entière impunité, et leurs victimes attendent encore les réparations comme les garanties d’un meilleur avenir. Pourquoi en est-il ainsi ? Et pour quels motifs le concert européen a-t-il interrompu son labeur et n’a-t-il pas fermement insisté pour que les promesses du sultan devinssent des réalités ? Son zèle se serait-il refroidi, ou bien les puissances se sont-elles divisées sur la nature et la portée de la pression qu’il était urgent et nécessaire d’exercer à Constantinople ? Nous dirons plus loin notre sentiment à ce sujet, mais nous pouvons indiquer, dès à présent, les circonstances qui ont entravé l’action diplomatique à ce moment.


VI

Des événemens nouveaux étaient survenus qui détournèrent l’attention des cabinets et la fixèrent sur un point plus sensible, parce qu’il est en Europe au lieu de se trouver en Asie. Des troubles sérieux avaient éclaté en Crète, menaçant de dégénérer en un conflit dont il était difficile de limiter les conséquences. La Grèce, en effet, s’agitait devant ces désordres suscités par ses convoitises ; les États des Balkans et l’Autriche elle-même, pour des raisons que nous avons indiquées, n’étaient pas sans concevoir de vives alarmes ; partout on en redoutait la répercussion, qui pouvait s’étendre de la Méditerranée aux rives d-u Danube, à travers la Turquie d’Europe. Dispersés en Anatolie, les malheureux Arméniens ne pouvaient devenir le sujet d’une grave querelle, pensait-on, à moins qu’une grande puissance ne prît soin de la provoquer. La Crète est un lot d’une moindre valeur par son étendue, mais d’une autre importance par sa position. Les Arméniens furent délaissés, et le sort des Crétois devint le principal objet des préoccupations des puissances.

En entreprenant de mettre sous les yeux du lecteur les phases diverses des négociations qui s’ensuivirent, nous nous répéterions, en ce sens qu’il nous faudrait raconter les mêmes déconvenues