Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/527

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’ailleurs, de renier sa foi et d’embrasser l’islamisme ? Comment y contredire enfin, après avoir lu, dans un rapport de M. Cambon, l’extrait que voici : « Aujourd’hui que les rapports consulaires sur le massacre d’Eghin sont arrivés à Constantinople, il n’est guère permis de douter que, le 15 septembre dernier (1896, un an après les premiers massacres et malgré les protestations véhémentes de l’Europe entière), les musulmans se sont jetés sur les Arméniens de cette ville et qu’ils ont fait un affreux massacre de chrétiens. Près de deux mille d’entre eux ont été tués par les troupes, et parmi eux beaucoup de femmes et d’enfans. Sur les 1 150 maisons du quartier arménien, 950 ont été brûlées et toutes ont été pillées. Aucun des Kurdes, si nombreux cependant dans la région, n’a paru dans la ville, et la responsabilité du massacre incombe tout entière à la troupe. Un avancement de faveur a été donné au gouverneur d’Eghin quelques jours après ce massacre[1]. » Faut-il ajouter que Abd-ul-Hamid se prodiguait, dans ses entretiens avec les ambassadeurs, en solennelles promesses, que, la plupart du temps, il ne remplissait pas ; — qu’il autorisait ses représentans en Europe à engager sa parole avec les gouvernemens auprès desquels ils étaient accrédités, et qu’il la laissait en souffrance ! C’est ainsi que M. Cambon fut contraint de mander à M. Hanotaux : « Je prie votre Excellence de n’attacher aucune créance aux notes que lui a remises Munir-Bey (l’ambassadeur de Turquie à Paris). En fait, la seule mesure réalisée jusqu’à présent est l’ouverture de la procédure pour l’élection du patriarche. Je multiplie les démarches pour empêcher le tribunal extraordinaire[2] de se réunir demain, et je n’ai pas encore ce soir de réponse définitive. La poursuite du colonel Mazhar-Bey (l’assassin du Père Salvatore) n’est même pas commencée. Cet officier se promène librement et, ni à Marache ni à Alep, il n’est question de la réunion d’un conseil de guerre.

« Le Sultan emploie tous les moyens dilatoires, et les notes de son ambassadeur à Paris n’ont d’autre objet que de vous faire croire qu’on fait quelque chose alors qu’on ne fait rien[3]. »

  1. Livre Jaune, p. 296.
  2. Constitué pour juger les Arméniens qui encombraient les prisons de Constantinople.
  3. Livre Jaune, p. 325.
    Les ambassadeurs conseillaient unanimement au sultan de rétablir l’ordre et la concorde par un acte d’amnistie générale. Abd-ul-Hamid s’y montra disposé, pourvu que Mazhar-Bey fût admis à bénéficier de cette mesure gracieuse. Notre représentant protesta vivement.