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plus étroit fanatisme. Dans une autre circonstance, deux fonctionnaires ottomans, ayant, par une rare exception, délivré des Pères français, lazaristes et trappistes, assiégés dans leurs couvens par des Kurdes, furent aussitôt décorés de la Légion d’honneur sur la proposition de M. Hanotaux, jugeant sans doute que cette distinction devait les mettre à labri du mécontentement que leur conduite ne pouvait manquer de provoquer à Constantinople. « Je ne saurais dire, écrivait à cette occasion le Père Etienne, le supérieur de la Trappe, à notre ambassadeur, combien le nom de la France est béni par les chrétiens de ces contrées... M. Summaripa peut certifier la vérité de ces sentimens de gratitude ; sa visite a été, pour nous, une consolation et un bienfait réel ; nous vous exprimons toute notre reconnaissance de nous l’avoir envoyé. » Comment ne pas citer encore ces paroles dignes d’un apôtre français : « Bien qu’on nous eût sollicités de nous retirer momentanément, nous ne l’avons pas fait. L’humanité, la charité, la religion nous imposaient le devoir de rester, et nous sommes restés. Se retirer eût été une lâcheté aux yeux mêmes des musulmans, et surtout des chrétiens que, seule, notre présence protégeait un peu. Les religieux français qui, à l’étranger, font bénir et aimer le nom de la patrie, n’ont pas l’habitude de fuir devant le danger. »

Quelle a été l’altitude, quelle a été la conduite des représentans de la Porte durant ces longs jours d’une sanglante persécution ? Partout l’agression a été préméditée, partout elle a été concertée dans des conciliabules dont les autorités administratives et militaires connaissaient l’objet. L’explosion était soudaine et éclatait sur plusieurs points à la fois, sans incident provocateur. La force armée s’abstenait, quand elle ne s’unissait pas aux malfaiteurs. « J’ai pu constater de visu, écrit notre consul à Trébizonde, que les zaptiés (agens de police) demeuraient dans les postes... sans essayer d’arrêter les émeutiers... C’était, on ne peut guère en douter, un complot soigneusement réglé ; la participation de la troupe aux crimes commis, au pillage toléré, sont des circonstances sur l’importance desquelles il est difficile de se faire illusion[1]. » Il vint un jour où le vali (le gouverneur) fut pris d’inquiétude pour sa sûreté personnelle ; il fit aussitôt répandre la nouvelle que le sultan venait de pardonner leur rébellion aux

  1. Livre Jaune, Supplément p. 13 ; rapport de M. Cillière.