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de la conférence, le sultan opposa un contre-projet, et on a vu ce qu’en pensait M. Cambon. Cette tentative d’Abd-ul-Hamid donna lieu à de longues et laborieuses négociations incessamment entravées par des concessions successives, toujours insuffisantes ou dilatoires. Nous nous égarerions nous-même, sans profit pour le lecteur, dans le dédale où le sultan se dérobait incessamment, si nous voulions ici entrer dans le détail des communications échangées entre les ambassadeurs et les représentans du sultan. Nous nous bornerons à dire qu’après six mois de pourparlers, le sultan rendit, le 20 octobre 1895, un iradé octroyant des réformes que son gouvernement devait, sans tarder, mettre à exécution dans les six provinces de la haute Anatolie. Le sort des chrétiens devait bénéficier amplement de cet acte de la volonté souveraine, et l’on pouvait croire qu’à dater de ce jour, on entrerait enfin dans l’ère des améliorations salutaires et réparatrices.

Mais déjà, dans ces mêmes provinces, sonnait, pour les chrétiens qui en étaient les paisibles habitans, le tocsin d’une immolation furibonde. La coïncidence entre cette violente explosion du fanatisme musulman et la publicité donnée aux résolutions « paternelles » du sultan restera un sujet de cruelles méditations. A Constantinople, des Arméniens ayant voulu soumettre à la Porte leurs vœux et leurs revendications, un conflit éclata entre les manifestans et la police assistée de la force armée ; dispersée, la foule se répandit dans des quartiers divers, elle y fut poursuivie par des agens et des gendarmes à pied et à cheval. « La répression a été impitoyable, » écrit M. Cambon. La population arménienne de tout âge et de tout sexe se réfugia dans les églises, et ce fut grâce à l’intervention de tous les ambassadeurs qu’on mit fin à ce premier conflit. Ceci se passait à la fin de septembre et dans les premiers jours d’octobre 1895[1].

Peu de jours après, des troubles d’une plus violente gravité survenaient en Asie. Eclatés à Trébizonde, le o octobre, ils se répercutent de place en place et partout, en Anatolie, se succèdent d’effroyables scènes d’une véritable boucherie, suivant l’expression

  1. « Un fait grave est surtout à noter, mandait notre ambassadeur, le 6 octobre, c’est qu’à la suite de la dispersion des manifestans, un grand nombre d’individus n’appartenant ni à la police, ni à l’armée, des softas, des Kurdes établis à Constantinople, de simples particuliers sans mandat se sont armés, ont poursuivi les Arméniens et se sont livrés, même contre des chrétiens appartenant aux autres communautés, à des agressions de tous genres... L’autorité, loin de mettre un terme à leurs excès, a tout l’air de les avoir encouragés. » — Livre Jaune, p. 143.