d’assurer l’impunité des coupables, sans réparation d’aucune sorte pour leurs victimes. En résumé, le sultan, dès le premier mouvement d’indignation provoqué en Europe par les massacres de Sassoun, fut pris de défaillance ; courant au plus pressé, il invoqua, nous l’avons vu, les conseils des agens diplomatiques accrédités auprès de lui, ceux de notre ambassadeur notamment, pour conjurer le péril qui le menaçait. « Vous croyez, leur répondit-il, qu’une enquête, loyalement conduite, satisfera le sentiment public ; vous l’aurez incontinent et aucun crime ne restera impuni. » Convaincu de s’être ainsi prémuni d’un côté, grâce à cette concession qu’il se proposait de rendre vaine et stérile, il se persuada que la population musulmane la lui reprocherait comme un acte de félonie religieuse et nationale ; il se hâta de la rassurer en faisant annoncer par son journal officiel que des actes coupables avaient été commis, que les chrétiens en étaient les fauteurs et qu’ils seraient châtiés.
Mais la dissimulation et la mauvaise foi sont des armes qui se retournent contre les caractères pusillanimes ou pervers qui les emploient. « Ces manières d’agir ne partent pas, a dit le moraliste grec, d’une âme simple et droite, mais d’une mauvaise volonté et d’un homme qui peut nuire : le venin des aspics est moins à craindre[1]. » L’enquête eut en effet pour résultat d’exaspérer en Europe la confiance que le sultan croyait pouvoir abuser à l’aide d’un simulacre de justice mal déguisé. Dès les premières séances de la commission, il devint évident que ses travaux ne donneraient nulle satisfaction ni aux chrétiens, ni aux puissances ; que là n’était pas le remède attendu ; que les désastres infligés aux Arméniens resteraient impunis ; et qu’il était urgent, si on ne pouvait remédier au passé, de leur préparer un meilleur avenir. Aussi, les trois gouvernemens, qui étaient intervenus par voie de conseil et de contrôle, jugèrent-ils que leur tâche devait surtout avoir pour objet d’obtenir et de faire appliquer des réformes salutaires de nature à prévenir le retour de si lamentables catastrophes. Ils n’en avaient pas seulement le devoir, ils en avaient le droit imprescriptible. La Porte le leur avait conféré dans tous les traités consentis par elle depuis le milieu de ce siècle jusqu’au congrès de Berlin. En cette dernière occasion, elle s’est engagée « à réaliser, sans plus tarder, les réformes qu’exigent, — dit l’article 61. — les
- ↑ Les Caractères de Théophraste.