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États n’ont rien négligé pour ouvrir, soit en Afrique, soit en Asie, des voies nouvelles à l’activité industrielle et commerciale. On a été si loin dans cet ordre de faits, qu’il en est résulté une sorte de concurrence préjudiciable au bon accord des gouvernemens. Leur attention a d’ailleurs été sollicitée par d’autres obligations d’une actualité plus impérieuse. Il a plu aux Turcs, conduits par la haine et le fanatisme, d’ouvrir une ère nouvelle de sanglantes hécatombes, et l’éternelle question d’Orient s’est redressée de nouveau devant l’Europe avec ses dangers et ses complications éventuelles. Pour les conjurer, les puissances ont dû s’entendre, se rapprocher, et elles en sont venues à reconstituer le concert européen que M. de Bismarck avait mis en pièces en dédaignant ses règles salutaires.

Comment les cabinets se sont-ils acquittés de la tâche qu’ils se sont imposée dans un dessein si louable ; à quels résultats ont conduit leurs efforts communs ; et ont-ils réalisé les espérances que leur entente avait permis de concevoir ? Quels obstacles ont-ils rencontrés ; et ont-ils, tous également, entrepris de les surmonter ? Voilà ce que nous voudrions examiner avec une entière impartialité. L’entreprise est téméraire, mais nous avons la confiance qu’on nous pardonnera de l’aborder en raison du grand intérêt qui s’y rattache.


I

La contrée géographiquement dénommée l’Arménie a subi, depuis longtemps, l’injure de la domination étrangère. Dans les temps modernes, elle n’a jamais constitué, comme l’écrivait notre ambassadeur à Constantinople, un État limité par des frontières naturelles ou défini par des agglomérations dépopulation, comme la Grèce ou la Bulgarie. Elle compte aujourd’hui trois maîtres. La partie orientale est unie à la Perse. La Russie a annexé à ses provinces du Caucase la portion septentrionale. Dans celle qui relève encore de l’autorité du sultan, les Arméniens sont, partout, mélangés aux musulmans. Au cas où l’on proposerait, dit encore M. Cambon, la création d’une Arménie, il serait presque impossible de fixer l’orientation de ce nouvel État[1].

Mais, si l’autonomie de l’ancienne Arménie a cessé d’être une

  1. Livre Jaune, p. 11.