nille. On sait les difficultés qu’il a rencontrées de la part du gouvernement égyptien, qui lui a refusé du charbon pour continuer sa route. Jamais situation n’a été plus mêlée de perplexité et d’angoisse que la sienne. Il a dû s’arrêter ; mais ce n’est pas tant encore le défaut de charbon qui l’a paralysé, que l’incertitude de ce qui se passait derrière lui. La flotte de Santiago une fois détruite, les Américains ont réuni quelques navires pour une destination inconnue. Inconnue, soit ; et pourtant facile à deviner. Il est naturel que les Américains, aujourd’hui qu’il n’y a plus un navire ennemi dans la mer des Antilles, menacent directement les rivages continentaux de l’Espagne. On comprend que le gouvernement de Madrid ait donné l’ordre à l’amiral Camara de rebrousser chemin et de venir au plus vite couvrir la patrie en danger. Ne faut-il pas aller au plus pressé, et pourvoir au péril le plus imminent ? Mais qu’est-ce que cela signifie, sinon qu’après avoir virtuellement perdu Cuba par la destruction de la flotte de l’amiral Cervera, l’Espagne, par le rappel de la flotte de l’amiral Camara, abandonne définitivement les Philippines à leur malheureux sort, et ne songe plus qu’à sa propre sécurité ? Dans l’état où elle se trouve, elle ne saurait faire autrement, tenir une autre conduite. À son tour, elle peut dire que tout est perdu, fors l’honneur.
La situation est telle que, dans la presse européenne, le mot de paix vient instinctivement sous toutes les plumes. L’Espagne a évidemment épuisé les chances que la guerre pouvait lui réserver, et la sagesse politique lui conseille aujourd’hui de mettre fin à des hostilités dont elle n’a plus rien à espérer. La disproportion des forces entre les deux belligérans est trop évidente pour qu’il soit permis d’espérer un retour de fortune. Il paraît impossible que le gouvernement espagnol, composé d’hommes de bon sens, conserve à ce sujet la moindre illusion. Sans doute, c’est une épreuve cruelle qui s’impose au patriotisme de M. Sagasta ; M. Canovas a été plus heureux, d’être soustrait par la balle d’un assassin à cette douloureuse extrémité ; mais le devoir est là. Il consiste à sauver de l’Espagne tout ce qui peut encore en être sauvé et de l’empêcher de tomber dans une ruine complète, radicale, irrémédiable. Quelque désespérées que soient ses affaires, elle peut prolonger la résistance pendant quelque temps encore. Son armée à Cuba est vaillante et aguerrie ; elle peut disputer pied à pied la grande île aux Américains et la leur faire acheter au prix de beaucoup de sang et de sacrifices. La défense de Santiago montre ce que les Espagnols sont encore en mesure de faire. Mais après ? Ils finiront toujours par succomber, et alors les Américains