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le but de l’amiral espagnol en se réfugiant dans la rade de Santiago. Il n’aurait dû y entrer qu’à la condition d’en sortir au plus vite, car il était facile de prévoir qu’au bout de très peu de jours, il y serait hermétiquement bloqué. L’amiral a eu près d’une semaine pour reprendre le large : pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? La seule explication qu’on puisse, admettre est que l’état de ses machines ne le lui permettait pas, et alors il faut le plaindre de s’être vu condamné à la plus douloureuse immobilité. Au dernier moment, lorsque la ville a été sérieusement menacée du côté de la terre et qu’on a pu la croire sur le point de tomber entre les mains de l’ennemi, l’amiral Cervera a tenté une sortie coûte que coûte. Il ne pouvait pas se méprendre sur le danger ; sur la témérité d’une pareille tentative, dans les conditions où il l’opérait ; mais, à rester dans la rade, le danger n’était pas moindre, sans qu’aucune témérité le relevât. L’amiral Cervera a risqué le tout pour le tout. Il a jugé le moment venu de s’abandonner à la fortune, bonne ou mauvaise. Il a pensé que, si les chances lui étaient favorables, peut-être sauverait-il quelques-uns de ses vaisseaux, tout en perdant les autres. Le malheur s’est acharné contre lui, et ses dernières espérances ont été déçues. On a beaucoup parlé, depuis quelques jours, de l’invincible Armada de Philippe II et du désastre qui l’a anéantie : toutes proportions gardées, il y a eu, en effet, quelque chose d’analogue dans la fatalité qui a pesé sur l’amiral Cervera, avec la différence que c’est lui-même qui a pris le parti d’échouer ses vaisseaux sur les côtes et de les détruire. Il ne reste presque plus rien de la flotte qu’il commandait, et le nombre de ses morts a été considérable. Les Américains, au contraire, n’ont fait aucune perte dans cette circonstance ; leurs dépêches assurent qu’ils n’ont eu qu’un homme de tué. Les voilà maîtres de la mer, et Cuba, ne pouvant plus recevoir aucun appui du dehors, est comme une ville assiégée qui, si elle n’est pas secourue, doit inévitablement succomber.

L’Espagne avait deux flottes, celle de l’amiral Cervera et celle de l’amiral Camara. La seconde subsiste, mais elle est bien loin, et il est probable qu’on ne la verra jamais dans la mer des Antilles. Son histoire, en un sens, n’est pas moins triste que celle de l’autre. Il a fallu longtemps, trop longtemps, pour la ravitailler et la mettre en mouvement. En attendant, la situation empirait aux Philippines, et, au bout de quelques jours, le général Augustin la présentait comme désespérée : à moins qu’on ne lui envoyât rapidement des secours, il ne répondait plus de rien. L’amiral Camara est parti de Cadix ; il a traversé la Méditerranée ; il s’est engagé dans le canal de Suez, se dirigeant sur Ma-