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pressé d’en faire part à M. le Président de la République. Pourquoi celui-ci n’a-t-il pas chargé alors M. Peytral lui-même de faire un ministère comme il l’entendrait ? Pourquoi n’en avait-il pas chargé auparavant M. Sarrien ? Pourquoi a-t-il eu recours à M. Brisson ? Mystère, profond et obscur mystère ! Il serait impossible d’en trouver la clé dans les manifestations parlementaires. La Chambre nouvelle n’en avait pas encore fait beaucoup ; le temps lui avait manqué pour cela ; cependant elle en avait fait trois contre M. Brisson. M. Brisson était jusqu’alors le seul homme qui eût été mis en minorité par elle. Personne n’aurait pu imaginer que cela même le désignerait aux préférences de M. le Président de la République. Si les scrutins pour l’élection présidentielle avaient tourné autrement, et si M. Paul Deschanel, au lieu d’être trois fois élu, avait été trois fois battu, on aurait été stupéfait de voir M. le Président de la République lui confier le soin de faire un cabinet. Nous pensons même que, par convenance personnelle, M. Deschanel aurait refusé d’entrer dans aucun, quand même on lui aurait demandé de le faire. Faut-il croire que, lorsqu’il s’agit des radicaux, il n’y a plus aucune règle, et que ce qui serait une contre-indication à l’égard des autres devienne une investiture pour eux ? Même en admettant l’opportunité, — que nous nions, — de constituer aujourd’hui un gouvernement radical, M. Brisson était le moins qualifié de tous pour le présider. Il ne s’agit pas de l’homme ici ; M. Brisson ne nous déplaît pas plus qu’un autre ; mais le choix qui a été fait de lui montre une fois de plus qu’après avoir tenu peu de compte des manifestations électorales du pays, on n’en a pas tenu davantage des manifestations parlementaires de la Chambre. Et cela n’est pas sans gravité.

L’avènement des radicaux n’est donc, à aucun degré, celui d’une politique. Il vaudrait mieux pour les progressistes avoir en face d’eux une politique franche et avouée, parce qu’ils pourraient la combattre franchement et ouvertement : mais les choses ne se présentent pas ainsi. Les radicaux se sentent impuissans à appliquer leur programme et ils y renoncent avec la désinvolture la plus dégagée. Seulement, ils se réservent de remanier l’administration, d’y opérer de larges vides et d’en faire profiter leurs amis. Le lendemain des élections semble devoir être une véritable curée. Déjà les socialistes, dont le ministère actuel ne peut pas plus se passer que ne le pouvait jadis le ministère Bourgeois, dictent impérieusement leurs conditions et réclament leur part du gâteau. Ils reprochent avec amertume à M. Brisson et à ses collègues l’abandon de toutes leurs idées. Eh quoi ! il faudra renoncer