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semble d’un contribuable ne peut pas être évalué d’après des signes extérieurs, et qu’il faut inévitablement recourir, pour cela, soit à une déclaration qu’on contrôle, soit à une taxation administrative arbitraire. M. Doumer ne répudiait pas ces conséquences : il n’en est pas de même de ses successeurs. Devant les protestations qu’ils ont soulevées, et les critiques qu’ils ont provoquées, ils ont reculé peu à peu. Ils ont conservé pour les électeurs ce mot d’impôt global, qui avait eu prise sur leurs esprits, au moins dans certaines régions ; mais, en fait, ils ont commencé à admettre la distinction entre les diverses sources de revenus. Dès lors, que devenait le principe de la globalité ? À mesure qu’ils remaniaient leurs projets primitifs afin de les rendre plus acceptables, les radicaux ont renoncé aux principes d’où ils étaient partis. Autant qu’on peut comprendre la déclaration ministérielle, il ne s’agit plus aujourd’hui de l’impôt sur le revenu qu’avait proposé M. Doumer, mais de l’impôt sur les revenus qu’avaient préparé MM. Burdeau et Ribot. Dans notre système fiscal actuel, il y a le germe d’un impôt général fondé sur les signes extérieurs de la richesse : c’est l’impôt personnel-mobilier, et celui des portes et fenêtres. On les conserve, en changeant leur nom et en modifiant leur assiette. C’est un abandon complet du programme initial. Nous ne reprochons pas aux radicaux d’avoir abandonné ce programme, mais seulement de ne l’avoir pas dit plus tôt. Ils ont fait leur campagne électorale sur un mensonge. Ils ont donné aux électeurs naïfs des espérances qui ne peuvent pas se réaliser. Bien plus, ils renoncent maintenant, ou du moins ils paraissent renoncer à la progression, puisqu’ils ne parlent plus que de dégression. Si l’on entend par dégression, une modération de taxe pour les contribuables les moins fortunés, ce n’est plus là un principe, mais c’est un expédient pratique, sur lequel on peut se mettre d’accord. Et surtout ce n’est pas une chose nouvelle. Si, au contraire, par dégression, on entend la même chose que par progression ; si on se contente de prendre le fait à rebours pour arriver au même résultat ; si, au lieu d’adopter l’échelle ascendante, on adopte l’échelle descendante ; si l’on change seulement un adjectif dans l’espoir d’égarer une majorité complaisante ou défaillante, alors on crée une équivoque nouvelle, et, cette fois, c’est à l’esprit de la Chambre qu’on cherche à faire illusion. Il y a encore trop d’obscurités, en tout cela, pour qu’on puisse dès aujourd’hui porter un jugement définitif. Le ministère Brisson a tenu le langage des modérés ; mais ses projets de loi seuls nous éclaireront, lorsqu’il les déposera, sur ses intentions véritables. Il a pris le temps de réfléchir, de son-