Wagner, dans sa lettre suivante, se répandit en excuses sur ce fâcheux contre temps. Mais M. Weissheimer en a, aujourd’hui encore, après trente-quatre ans, l’âme tout ulcérée. « Qu’on se figure, nous dit-il, notre étonnement et notre embarras ! Toute la ville savait que Wagner devait venir à notre mariage ! Et ce dîner, dont il fallait nous occuper au dernier moment ! »
Le second grief est encore plus typique. M. Weissheimer, comme je l’ai dit, n’était pas seulement l’ami, mais le confrère de Richard Wagner. Il avait composé un opéra, Théodore Kœrner, sur un livret qu’avait écrit pour lui une dame de ses amies. Et il avait espéré que Wagner, admis enfin à faire jouer les Maîtres Chanteurs au théâtre de Munich, userait de son influence pour y faire jouer aussi son Théodore Kœrner. Mais Wagner s’était excusé : avec mille complimens sur sa musique, il lui avait déclaré que le livret de son opéra était trop médiocre, et que d’ailleurs le genre même de ce livret lui rendait difficile de le prendre, à ce moment, sous sa protection. Quiconque connaît un peu la doctrine wagnérienne comprendra qu’il n’était, en effet, guère possible à Wagner d’associer un opéra sur Kœrner à l’expérience décisive qu’il allait tenter, en offrant au monde ses drames nouveaux. M. Weissheimer, lui, ne l’a point compris : et l’on n’imagine pas avec quelle violence de colère et d’indignation il nous raconte, en quarante pages, les menus épisodes de cette « trahison » de Wagner. Il affirme que toutes les raisons alléguées par son illustre ami n’étaient que des prétextes ; peu s’en faut qu’il ne les mette au compte de la jalousie. Ne nous dit-il pas que, un matin, comme il jouait à Hans de Bulow des fragmens de son opéra, dans le cabinet de Wagner, le domestique de celui-ci est venu le prier de fermer le piano, parce que son maître était fatigué et avait besoin de dormir ?
Voilà, exactement, sur quoi il se fonde pour nous représenter Wagner comme un faux ami, un égoïste, un homme incapable de rendre service à personne. Et ce qu’il y a de plus étrange dans son aventure, ou plutôt de plus naturel et de plus humain, c’est que, pour mieux nous convaincre de la noirceur d’âme témoignée par son ami dans ces deux occasions, il s’évertue à nous en raconter une foule d’autres où Wagner, au contraire, s’est montré à son égard d’une bonté, d’une complaisance, d’une sollicitude extrêmes. Il nous le fait voirie traitant en frère, s’intéressant à ses travaux, le recommandant comme chef d’orchestre — et recommandant son opéra — à tous les directeurs de théâtre qu’il rencontrait dans ses voyages ou, pour mieux dire, dans ses fuites affolées à travers l’Allemagne.