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moment où deux ou trois accords de cuivre, assénés tout d’un coup, nous ébranlent d’une secousse physique et nous arrêtent brutalement devant la réalité du cadavre encore plus que devant le mystère de la mort.

Réaliste aussi, le début du troisième tableau : une ancienne barrière de Paris, un matin d’hiver. On voit les hommes du poste s’éveiller, ouvrir les grilles aux balayeurs, aux charretiers, aux laitières. Les employés de l’octroi soulèvent les bâches et tâtent les paniers. Tandis que les réverbères s’éteignent, un prêtre gagne son église, des enfans leur école, et le facteur va de porte en porte. Encore une fois, on voit tout, tout ce qui passe et tout ce qui se passe à pareille heure, en pareil lieu. Mais on n’entend pas grand’chose : quelques appels, des cris lointains, un salut échangé à la hâte, deux ou trois mots de dialogue, un refrain dans un cabaret, un tintement de cloche ou de grelots. Ici, comme tout à l’heure et peut-être davantage, la musique se fait humble et la fiction sonore s’efface devant la réalité visible.

Mais le chef-d’œuvre du genre, c’est le second acte : le réveillon au quartier Latin. Ici, le plus de mouvement et de vie extérieure possible est rendu par le moins possible de musique. J’ai vu peu de spectacles aussi bien réglés, aussi variés et divertissans que ce tableau. Je ne dis pas que la réalité n’y souffre encore quelques atteintes légères. Le climat parisien ne permit jamais aux bohèmes les plus endurcis de faire réveillon en plein air. Et puis il y a trop d’enfans aux fenêtres. En chemise de nuit, la nuit de Noël ! Et si nombreux, au quartier Latin ! Des enfans naturels sans doute. Le reste, tout le reste est la vérité et la vie. Impossible de mieux donner aux yeux l’illusion de la foule, du fourmillement et de la cohue, d’une fête ou d’une foire nocturne, de l’entrain populaire, de la bousculade et du charivari. Étudians et grisettes, acheteurs et marchands ambulans, gardes nationaux et bourgeois, pas un personnage ne manque, pas un incident n’est omis, depuis la criée des jouets et des gâteaux, jusqu’à la retraite qui passe, avec le tambour-major et le chien. Des scènes de ce genre, moins triviales seulement, ont déjà tenté les musiciens : le Berlioz de Benvenuto Cellini, le Gounod de la Kermesse et le Bizet de Carmen. Mais, tandis que ceux-ci demandaient à la musique d’abord, surtout à la musique, l’expression de la réalité pittoresque et familière, M. Puccini la cherche trop, — et je reconnais qu’il l’y trouve, — à côté ou en dehors de la musique même. Ici la réalité, plutôt que d’être transformée, transfigurée par les sons, n’est guère plus qu’imitée ou reproduite par des bruits. Ainsi, dans les jours troublés qu’elle traverse, la musique hésite et se partage. Les uns, Français ou