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ou de Pâques, entrez dans la basilique de Sainte-Clotilde. Embaumée et fleurie, sous la clarté de ses lustres pareils à des couronnes de feu, les chants dont elle retentit ne sont point austères. Cela ne veut pas dire qu’ils ne soient pas religieux. Ils le sont comme il convient à ces voûtes gothiques, mais d’un gothique moderne et sans terreur ; à de nobles fidèles, à des chrétiens qui sont du monde plutôt que du peuple, et qui trouveraient la mélodie grégorienne un peu nue, un peu mystique et monotone l’harmonie de Palestrina. Entre ce temple, cette assistance et cette musique, la convenance est parfaite. Cette paroisse de choix a le maître de chapelle qu’il lui faut. Un « salut » de M. Samuel Rousseau, je veux dire composé de ses œuvres et dirigé par lui, m’a fait souvent songer à ce que devaient être certains offices dans l’Italie du XVIIe ou du XVIIIe siècle. Et ce ne furent là, vous le savez, ni des siècles sans génie, ni même des siècles sans foi. Pour faire à l’action et au drame une part plus grande qu’à la prière, à la méditation et à l’extase, pour n’être pas des chefs-d’œuvre liturgiques, les cantates d’un Carissimi ou les psaumes d’un Marcello n’en sont pas moins des chefs-d’œuvre sacrés. J’ai pensé quelquefois que M. Samuel Rousseau devait les bien connaître et beaucoup les aimer. Il semble qu’on retrouve en lui quelque chose des grands maîtres de cette école et qu’il soit demeuré fidèle à leur idéal éclatant.


M. Albert Carré a deux visages ; il est le Janus des directeurs. Il regarde à la fois du côté de l’ombre et du côté du soleil. Il nous a donné coup sur coup Fervaal et la Vie de Bohême. Ce sont deux coups très différens. Je ne rechercherai pas lequel a été le plus sensible au public, et le plus agréablement. Mais tout de même il doit trouver quelquefois, ce pauvre public, qu’on le ballotte un peu, et qu’allant de l’austère Fervaal à l’aimable Vie de Bohême, la musique, comme le vaisseau de Molière, « va tantôt à la cave et tantôt au grenier. »

Un Italien qui s’y connaît, consulté sur le mérite de ses jeunes compatriotes par un critique de nos amis, lui répondait ceci : « Vous me demandez s’il y a quelques pages à écrire sur les jeunes musiciens d’Italie. Que dois-je vous répondre ? Si je vous encourage à le faire, je crains pour eux ; mais, si je vous conseille de ne point écrire et si leur mérite est plus considérable que je ne pense, le tort que je leur ferai sera plus grave encore. Je suis mauvais juge en cette question ; mes admirations sont ailleurs depuis trop longtemps et sur de trop hauts lieux. Vous me demandez s’ils ont un principe qui les relie ; non, mais ils écrivent tous la même musique. Quant au