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Personnages qui figurent dans l’abondante galerie du Pays de Cocagne ; nous ne les trouverions pas très différens de ceux que nous avons rencontrés chez Dickens ou chez Daudet, chez Balzac ou chez Tolstoï. Voici le joyeux confiseur Cesare Fragala, avantageusement connu sur la place et qui jouit d’une bonne honorabilité bourgeoise. Lui aussi il a sacrifié au démon du jeu : ses affaires s’embarrassent, ses échéances restent impayées, son crédit s’évapore ; il est obligé d’avouer à sa femme l’imminence de la ruine. Alors, tandis que le mari ne sait que s’affoler, se frapper la poitrine, et s’épancher en un déluge de larmes, c’est la femme qu’on voit descendre à la boutique, s’installer au comptoir, vérifier les livres, mettre un peu d’ordre dans les affaires en déroute et faire face aux nécessités les plus urgentes. Mais de combien d’exemples analogues ne nous souvenons-nous pas ? Et combien de fois le même cas s’est-il présenté, dans tous les pays et sous toutes les latitudes, d’un bout du monde des affaires à l’autre bout ? On a maintes fois constaté ces ressources d’énergie dont la femme se trouve capable en face du malheur. Et plût au ciel que nous n’eussions jamais d’autres occasions de méditer sur l’amère dérision qui fait de la bravoure une vertu masculine ! — Le jeu a naturellement pour auxiliaire : l’usure. Mme Serao a fait à la description de l’usure la place qui lui convenait, opposant en deux tableaux qui se répondent l’usure populaire et l’usure qui s’adresse aux gens distingués. Chez l’usurière Concetta, c’est la fille du peuple, c’est le coupeur de gants ou le décrotteur qui viennent contracter d’infimes emprunts. Chez don Gennaro Parascandalo, le financier, le commerçant, le fils de famille viennent signer de belles lettres de change. Et toute l’ingéniosité napolitaine n’a pas réussi à renouveler les procédés des Harpagon ou des Gobseck. Le seigneur Harpagon tenait à la disposition de ses cliens des lézards empaillés. Le seigneur Parascandalo dispose de quarante douzaines de chaises de Chiavari à six lires l’une. Chaises ou lézards, l’emprunteur serait embarrassé de choisir entre ces fournitures illusoires. — Les joueurs sont superstitieux, et il n’est pas un d’eux qui n’ait sa martingale ou son fétiche. C’est ce qui rend si lucrative et si peu dangereuse la fourberie de l’assisté. Celui-ci a épousé une sorcière ; et cela fait un ménage assorti. « Dans le peuple napolitain il y a des femmes qui ont un grand renom de magiciennes, fattuchiare émérites, aux philtres, aux exercices, aux fatture desquelles rien ne résiste. Quelques-unes d’entre elles ont une grande clientèle, bien supérieure à celle que pourrait avoir un médecin, et presque chaque quartier vante sa sorcière, capable des plus bizarres miracles, toujours cependant avec l’aide de