Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rapprochement des chiffres d’une année à la suivante et, dans la même année, d’une ville à l’autre, que le prix des vins était sujet à des alternatives de hausse et de baisse plus brusques et plus saisissantes autrefois qu’à l’heure actuelle ; cependant, lorsqu’on suit les cours des mêmes vignobles durant un certain temps et lorsqu’on note le taux excessif atteint par des liquides très ordinaires, si la récolte venait à manquer, — Moulins, en 1710, paya le vin 100 francs l’hectolitre, et Mézières 155 francs, lorsque sa valeur moyenne était de 24 francs, — on peut se convaincre de l’état précaire où le défaut de circulation et l’absence de réserves suffisantes plaçaient à la fois les consommateurs et les producteurs.

Pour le vin comme pour le blé, la réglementation du commerce par l’Etat et les villes n’obtenait donc ni l’un ni l’autre des résultats qu’elle se proposait : assurer l’écoulement des marchandises aux époques de pléthore ; obvier, aux momens de pénurie, à la hausse démesurée. Le vin, qui peut être évalué à 19 francs l’hectolitre pour l’ensemble du XVIIe siècle, demeura au même prix de 1701 à 1790, mais avec une tendance à la baisse vers la fin de l’ancien régime. Comparé aux salaires, il avait au contraire légèrement enchéri sous Louis XVI. La journée du manœuvre représentait, tantôt 3 lit, 30 de vin, sous Richelieu, tantôt 5 lit, 30 sous Colbert. Elle tomba à 3 litres sous la Régence du Duc d’Orléans pour remonter à 4 lit, 80 sous Fleury et se réduisit ensuite à 4 lit, 10. Le journalier était donc, à cet égard, moins favorisé que de nos jours, où son gain de 2 fr. 50 correspond à 8 lit, 30.

La consommation du vin, par les classes laborieuses, aurait dû être par conséquent moitié moindre. En pratique, elle variait, bien plus qu’aujourd’hui, suivant les récoltes et les provinces. La piquette était la boisson commune des paysans, même dans des régions vinicoles ; les hospices du Midi, si l’année était mauvaise, ne donnaient à leurs malades que du « demi-vin » et, dans les campagnes du Nord, le jus du raisin était ignoré. « Sur 1 000 habitans de mon village, dit un curé de Picardie, je suis convaincu que 950 n’ont jamais bu de vin. »

Si les vins ordinaires n’avaient pas haussé, de Henri IV à la Révolution, les qualités de luxe étaient, durant la même période, devenues beaucoup plus chères ; résultat de l’aisance croissante des classes bourgeoises et du développement des transports. Les bons crus de Bourgogne s’achetaient de 100 à 150 francs l’hectolitre, le chambertin monte à 180 francs, le montrachet à 280. Le