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sur l’ensemble des surfaces emblavées. Elle avait peu varié durant six cents ans. Un traité de 1290 estime le rendement des bonnes terres à 875 litres par hectare, — cinq fois la semence, qu’il compte à 175 litres seulement, — et conseille de renoncer à la culture du froment dans les terrains où le rapport n’excède pas le triple de la semence (il s’en voyait d’aussi médiocres), parce qu’en ce cas la valeur du grain ne couvrait pas les frais de labour et de moisson. La crise agricole n’est donc pas née d’hier ; dès la fin du XIIIe siècle, il y avait des propriétaires qui se plaignaient.

Le salaire du manœuvre contemporain représente 21 litres de seigle et 12 litres et demi de blé, en adoptant pour ce grain le prix de 20 francs l’hectolitre, supérieur à la moyenne des dernières années. Le journalier de 1789 ne gagnait que 5 litres 70 de blé et 7 litres de seigle. Pour l’ensemble des XVIIe et XVIIIe la journée de travail, évaluée en froment, représente seulement 5 litres 25 de cette céréale. Il est clair que la consommation d’une denrée aussi coûteuse était interdite au paysan et à l’ouvrier, puisque sa valeur eût absorbé, dans les familles nombreuses, le total du salaire.

Cette constatation m’empêche de comparer le prix du pain actuel à celui des pains anciens, puisque leur nature n’est pas la même. Depuis le méteil, le conségal, le véronet, — mélanges où le froment entre pour la moitié, voire pour le quart, — jusqu’à l’avoine et au blé noir, il y avait de tout, y compris du son, dans ces pâtes antiques, et ce n’était pas par fantaisie que les pauvres alors mangeaient des pains aussi « complets. » En 1631, où le kilo de froment se vendait 44 centimes, le kilo de pain bis ne valait que 16 centimes, le pain noir, dit de brodde, valait 20 centimes, le « moyennement blanc, » ou « bourgeois, » 29 centimes, le pain de Chailly 36 centimes, et le pain de chapitre 40 centimes. À côté du pain blanc, qui valait à peu près autant que de nos jours, sauf dans les années de pénurie ou d’abondance extrême, figurent nombre de pains « gris, » de pains « bruts, » de pains « roussets, »de pains « des pauvres, » « des prisonniers » ou « de munition, » cotés à moitié ou au tiers du pain de froment, et variant entre 25 et 10 centimes le kilo ; soit, en monnaie actuelle, — d’après la puissance d’achat de l’argent, — de 63 à 25 centimes. À ces prix, le pain d’alors, si médiocre cependant, exigeait des consommateurs peu aisés un débours proportionnellement très