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ces marchandises offertes à vil prix, pour les remettre en circulation avec bénéfice.

A Paris, le lieutenant civil faisait chaque semaine, dans son rapport au Conseil, mention de l’abondance ou de la rareté des blés. La capitale vivait presque au jour le jour. Une vingtaine de marchands en gros se chargeaient de l’alimenter au début du règne de Louis XIV. Un seul disposait de quelques capitaux ; les autres n’avaient pas plus de 40 à 50 000 francs chacun de fonds de roulement. A eux tous, ils ne tenaient en magasin que 60 000 hectolitres et ne renouvelaient cette provision dans les campagnes environnantes qu’au fur et à mesure de leurs ventes aux boulangers parisiens. Aux heures de crise, la peur de manquer est si grande que le roi fait ouvrir, en 1636, sa propre galerie du Louvre, à ceux qui apportaient du grain, avec permission de l’y vendre en toute liberté comme en un marché public et sans être astreints à aucun loyer pour l’usage de cette princière halle.

Toutes les villes, sous l’ancien régime, taxaient le pain, comme font aujourd’hui encore nombre de localités, où l’arrêté municipal ne gêne personne, parce qu’il est d’accord avec les cours. La commune d’autrefois, qui souvent s’efforçait de réduire arbitrairement le prix au profit du consommateur, se heurtait à des oppositions incoercibles. Nos pères, dans ce genre, ont tout essayé ; ils ont lutté corps à corps durant des siècles avec tous les prix, mais surtout avec ce prix du grain dont dépend l’existence des hommes, sans parvenir à le maîtriser. Nous n’inventerons rien, en fait de règlemens, qu’ils n’aient avant nous inventé. Nous ne saurions faire un pas dans cette voie sans marcher dans leurs pas d’hier. Les boulangers déclaraient-ils, devant les exigences administratives, renoncer à faire du pain ? Les récalcitrans étaient traqués, frappés d’amende. Peine inutile ; la taxe officielle demeurait lettre morte ; le public l’éludait en payant secrètement la valeur réelle. L’autorité s’entêtait parfois : elle faisait procéder « à l’interrogatoire des pauvres gens pour savoir au vrai combien les marchands vendent le pain ; » plus raisonnable, on la voyait passer des contrats avec les boulangers auxquels elle-même livrait le grain à bas prix, à moins qu’elle ne leur allouât une indemnité égale à la perte que la taxe leur faisait subir.

Il y aurait eu un troisième procédé plus avantageux, mais il ne paraît pas avoir réussi : c’était de faire du pain avec peu ou point de farine ! L’archevêque d’Arles recommandait au cardinal