n’ai plus que la force de t’aimer de tout mon cœur. » Le lendemain matin, c’était même antienne. « Mon pauvre cœur souffre beaucoup. Ton oncle m’a écrit pour me demander un rendez-vous. Je l’ai assigné à neuf heures. »
Dans cette seconde entrevue, le Comte d’Artois insista de nouveau auprès du Roi pour obtenir le renvoi de Decazes, qui en fut aussitôt averti. « Mon frère n’a point pris ce ton exigeant que tu sais qu’il prend quelquefois. Il m’a simplement dit ce qui m’est revenu de plusieurs autres côtés, qu’avec toi, les lois seraient rejetées, que, toi de moins, elles seraient adoptées. Que lui répondre ? Le vent souffle trop de toutes parts pour que cela ne soit pas vrai. Je lui ai dit l’inutile démarche que tu as faite hier auprès du duc de Richelieu. J’ai voulu du moins jeter cette fleur… non… je ne puis achever. » Il n’achevait pas parce qu’il lui en eût trop coûté d’avouer que, vaincu par les sollicitations de son frère, il lui avait promis, formellement promis le sacrifice qu’on exigeait de lui, si toutefois le duc de Richelieu se laissait fléchir et consentait à recueillir la succession de Decazes. Mais, s’il ne confessait pas ce qu’il appelait sa faiblesse, il s’en excusait en laissant voir à quel point elle le rendait malheureux. « Viens le plus tôt que tu pourras ; viens voir le Prince ingrat qui n’a pas su te défendre et qui a encore besoin de te consulter sur les choix ; viens mêler tes larmes à celles de ton trop malheureux père… Tu me trouveras avec la main gauche gantée ; j’ai quelque chose à l’index ; mais c’est le moindre de mes maux… Peux-tu croire encore que je t’aime ? » Et dans la même lettre : « Je n’ai qu’une seule raison pour croire qu’on ait perverti le Duc d’Angoulême, c’est que ce malheur me manquait. »
Il avait vu son neveu, dans « la fatale soirée du 16 », écouter, sans s’y joindre, mais aussi sans protester, les lamentations du Comte d’Artois et de Madame, et, quoiqu’il eût d’abord attribué cette attitude à la timidité naturelle du prince, depuis, sur la foi de propos inexacts, il le croyait passé à l’ennemi. Cette défection ajoutait à sa douleur. A deux jours de là, il y revenait encore : « César fut plus heureux que moi ; il ne dit qu’une fois : Tu quoque ! Shakspeare connaissait bien le cœur humain. Voici la malédiction du roi Lear contre sa fille : Puisse-t-elle sentir combien plus acéré que la dent d’un serpent il est d’avoir un enfant ingrat ! Je ne prononce point cette malédiction, Dieu m’en garde ; mais je sens combien elle est cruelle. » Le Duc d’Angoulême ne