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« Je suis bien affligé de te savoir enrhumé ; nous n’avions pas besoin de cela de plus. Tu me demandes comment je vais ; ah ! mon ami, il fallait d’abord me demander si j’existe ; je t’aurais répondu : guère. Ce matin, en ouvrant les paupières, le corps réveillé, l’esprit encore fort peu, j’ai senti que je me portais, mais que j’avais un point douloureux au cœur ; j’ai cherché ce qui le causait ; successivement, mes idées se sont développées et, enfin, la triste vérité s’est montrée tout entière. Ma douleur est grande ; elle l’est d’autant plus que je ne peux me livrer à l’espoir que tu m’offres. Tu semblés te la reprocher. Ah ! songe plutôt à toutes les jouissances que tu as fait éprouver à mon cœur ; songe à trois années de bonheur pur, continu, sans un seul nuage, couronnées par le plus grand de tous pour moi, celui d’avoir assuré le tien ; songe, enfin, que le triomphe de nos ennemis ne sera pas complet, car, malgré eux, ils diront comme Phèdre : Ils s’aimeront toujours. »

Pendant que la tendre sentimentalité de Louis XVIII s’épanchait en cette prose désolée, Decazes allait chez Richelieu. Après lui avoir montré la lettre royale, comme une preuve du caractère officiel de sa mission, il recommençait une tentative déjà faite à plusieurs reprises et n’était pas plus heureux cette fois que lors de ses précédentes démarches. Richelieu se retranchait derrière la réponse qu’au mois de novembre, il envoyait de La Haye. Il ne se croyait pas indispensable. Ce qu’on attendait de lui, d’autres pouvaient l’accomplir et mieux que lui-même, « ayant toujours été la bête noire des ultras. »

— Quand vous êtes devenu président du Conseil, dit-il à Decazes, Monsieur vous avait promis son appui. Cela ne Ta pas empêché de vous le retirer en des circonstances si graves, et sans motif. Ce qu’il vient de faire contre vous, il le ferait contre moi. Rien ne me garantit la durée de l’engagement qu’il se déclare prêt à prendre si j’accepte le pouvoir.

Decazes ne put ébranler la résolution de Richelieu. Il revint chez lui découragé, malade, hors d’état de se rendre auprès du Roi, à qui il fit part cependant de son échec. Pour la troisième fois de la journée, Louis XVIII prenait alors la plume : « Ton état physique me désole, mon cher fils, le moral n’est guère plus consolant. Que ferons-nous d’après l’invincibilité du Duc ? Pensez-y bien ; pour moi, je suis à bout de voie. Je suis du moins bien aise que ton oncle ait été bien pour toi… Bonsoir, cher fils, je