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« — N’avez-vous donc pas entendu ce que je vous ai dit de la part du comte de Bruges ; il est de la meilleure foi du monde, je vous jure.

« — C’est parce que je l’ai entendu que je presse ma visite à Son Altesse Royale, étant convaincu que messieurs les gardes du corps ont été calomniés auprès de l’aide de camp de Monseigneur.

« — Au nom de Dieu, laissez-moi du moins le temps de prévenir M. de Bruges.

« En descendant de voiture, nous trouvâmes, à l’entrée du vestibule du prince, le général d’Ambrugeac désespéré. M. de Bruges était sorti. Nous entrâmes chez Monsieur. Les gardes du corps de service dans la salle des gardes se levèrent à notre arrivée ; le garde de faction à la porte de Son Altesse Royale nous fit le salut d’usage du port d’armes et du talon. Monseigneur vint à nous avec empressement, me prit les mains, me remercia de ma sollicitude pendant la funeste nuit. Des larmes coulaient de mes yeux ; il me dit :

« — Nous avons besoin de forces pour prévenir les maux que cet affreux malheur peut amener et de prendre tout sur nous. Je suis très touché de cet attendrissement dont j’ai été témoin toute la nuit.

« Et comme j’excusais le ministre de la Guerre et moi de n’être pas venus avec nos collègues, espérant que Monseigneur trouverait bon que nous eussions rempli aux deux Chambres les devoirs qui nous y avaient appelés, il reprit :

« — Je vous en remercie, il ne faut pas que notre malheur nous fasse oublier le service du Roi et les dangers du pays.

« Il nous reconduisit jusqu’à la porte de son appartement en me serrant la main à plusieurs reprises avec la plus vive émotion. La réflexion n’avait pas changé les dispositions des gardes du corps, qui nous rendirent les mêmes honneurs qu’à notre arrivée. »

Il est regrettable pour la mémoire du Comte d’Artois qu’on surprenne ici ce prince en flagrant délit de comédie et de mensonge. Tandis qu’il prodiguait à Decazes ces témoignages de bienveillance, il n’ignorait rien du complot qui s’ourdissait contre le président du Conseil. Le même soir, les gardes du corps habitués du café de Valois se présentèrent au café Lemblin, rendez-vous ordinaire des officiers à demi-solde, inféodés au parti libéral et qu’on savait bien disposés pour Decazes, qui s’était fait en