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son bal ne soit pas interrompu et que la nouvelle ne circule pas. Mais j’ai pensé qu’il fallait vous avertir. Partez ; je préviendrai votre belle-sœur et vos nièces qu’étant souffrante, vous vous êtes retirée.

« Je montai en voiture ; j’allai à l’Opéra. La loge royale et le petit salon qui la précède étaient pleins de monde. Je m’informai de mon mari. On me dit qu’il venait de se rendre chez le Roi. Je revins alors chez moi. J’y trouvai ma belle-sœur et beaucoup de gens. Mais je ne parlai à personne. J’étais atterrée. »

Le récit de Decazes n’est pas moins émouvant.

« Je trouvai le Roi couché depuis une heure, très agité, en proie à la fièvre. Il voulait se lever et j’eus beaucoup de peine à l’en empêcher. Il céda sur la promesse que je lui fis de le tenir assez exactement informé pour que, si son neveu devait succomber, il pût lui fermer les yeux. » Quelques instans après, le président du Conseil était de retour à l’Opéra, ramenant Dubois avec lui. « Il ne me laissa aucune espérance. Après avoir écouté Dupuytren, il fut d’avis d’arrêter l’application des sangsues.

« — Monseigneur n’a perdu que trop de sang, fit-il remarquer. Je voudrais pouvoir lui en rendre.

« Se tournant vers moi, il me demanda si j’avais interrogé Louvel. Je compris sa funeste pensée. J’allai dans la pièce voisine, où Louvel, garrotté, était gardé à vue. Le procureur général et le procureur du Roi l’interrogeaient. Je me penchai à son oreille et lui demandai si le poignard était empoisonné. Il se récria avec une sorte d’indignation. La question, concertée avec les deux magistrats, avait été, ainsi que la réponse, entendue par eux, par le duc de Fitz-James et par divers serviteurs de la famille royale. Le Drapeau blanc ne m’en dénonça pas moins, le lendemain, comme ayant parlé bas à Louvel et lui ayant sans doute donné des avertissemens pour sa défense. Il fallut une déclaration formelle du duc de Fitz-James pour couper court à cette infâme calomnie. »

Cependant, personne n’avait mis en doute la sincérité de la réponse de Louvel. Mais elle ne parut pas rassurer Dubois. Dupuytren le questionnait :

« — Que faut-il faire ?

— Rien.

— Vous n’êtes donc pas d’avis de continuer à mettre les sangsues ?

— Non ! répliqua Dubois avec impatience, je croyais vous