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ému des horreurs dont tu es le point de mire. Je conçois leur effet sur un cœur comme le tien et c’est à ce cœur que j’offre pour consolation non l’immuable confiance du Roi, mais l’inaltérable tendresse de ton père… Songe que, dans aucun cas, un ministre ne doit aller sur le pré. » Cependant, après réflexion, il ajoute : « Il faut pourtant avouer que l’avis de tes collègues me fait quelque impression. Je te conseille d’écrire au ministre de la Guerre que, ne pouvant sortir, tu le pries de se donner la peine de venir le plus tôt possible chez toi et là, seul à seul, de raisonner à fond avec lui. Je m’en rapporte à son avis. » La Tour-Maubourg, convoqué, est d’avis que Decazes ne doit demander raison à personne. Decazes cède à ce conseil. Un moment troublé par la multiplicité des agressions, il se redresse, résolu à les dédaigner, à braver ses adversaires, et à se consacrer tout entier à la loi électorale.

Sur son conseil, le Roi consent à ce que quelques personnages considérables soient adjoints aux ministres pour statuer définitivement. Le duc de Richelieu, le chancelier Dambray, Lainé, Mounier, Cuvier sont désignés pour faire partir de cette grande commission. Villèle et Corbière, redoutant d’être soupçonnés de complaisance par les ultras refusent d’y siéger. Mais ils consentent à faire connaître leur opinion sur les mesures proposées, par l’intermédiaire de Pasquier. En prévision de la réunion de ce Conseil extraordinaire qu’il doit présider, le Roi invite Decazes à céder sa place à Richelieu autour de la table des délibérations. « S’il refuse, j’ordonnerai et je ferai mettre le chancelier à ma gauche. » Les séances de la commission se prolongent jusqu’au 9 février. Ce jour-là, elle arrête enfin une rédaction définitive, qui n’est à vrai dire qu’une reproduction du projet de Serre, plus ou moins amendé. Telle qu’elle est, elle satisfait Villèle, qui promet de la soutenir. Monsieur prend l’engagement de faire cesser l’opposition de ses amis, et le Cabinet peut raisonnablement espérer la victoire. « Tu es encore le point de mire de mille atrocités, mande le Roi au président du Conseil. J’en souffre plus que toi-même sans que mon espérance ait été un moment abattue. Mais, après avoir lu le projet, je crois pouvoir t’appliquer ce passage d’un psaume : Euntes ibant et flebant, mittentes semina sua. Venientes autem venient cum exultatione, portantes manipulos suos. »

Le 10, la détente est générale, au moins en apparence. Le Roi