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de De Serre. Garde-la. Si nous avons le malheur de perdre l’écrivain, ce sera un beau titre d’honneur pour sa famille. J’y vois qu’il est question de Siméon pour un intérim. Vous êtes donc sûrs de lui ? »

Les circonstances, par suite de cet événement, sont d’une telle gravité que Decazes, en suppliant le Roi de ne pas s’inquiéter à cause de lui, annonce que, coûte que coûte, il viendra le voir dans la soirée. Cette fois, c’est le Roi qui le lui défend : « Il faut donc que le Roi voie sans s’émouvoir le ministre en qui repose sa confiance, virum dextræ suæ, que le père voie sans s’alarmer le fils qu’il chérit plus que sa propre vie s’enrhumer de nouveau à chaque instant ou, pour mieux dire, ne pas cesser d’être enrhumé. Pour t’obéir, il faudrait une force plus qu’humaine et elle ne m’a pas été accordée ; je te l’avoue donc, je suis inquiet, tourmenté, affligé, malheureux… N’étant pas venu à la messe aujourd’hui, il ne serait pas convenable que tu parusses aux Tuileries. Aller chez de Serre est une autre affaire à débattre entre les médecins et toi. Pour demain, les mêmes raisons n’existeront plus. Mais, hélas ! tant de fois trompé par l’espérance, je n’ose plus l’écouter. Plains ton ami, cher fils ; il souffre autant qu’il t’aime ; c’est tout dire. » Ils se revoient enfin dans la journée du 22 et, le lendemain, le Roi écrit, impatient : « Je commence à sentir tout de bon le bonheur de t’avoir revu. Recommencera-t-il demain ? L’appétit vient en mangeant et j’envisage déjà le moment où il reviendra à sa véritable heure. » Ce billet est à peine parti que Decazes se présente. L’entrevue est courte ; néanmoins, « ce délicieux quart d’heure panse la plaie du Roi. » Mais, la nuit qui suit est mauvaise. C’est en gémissant qu’il approuve, le 24, « la réclusion d’aujourd’hui. » Dans ce même billet, il s’exprime durement sur les attaques auxquelles se livrent contre Decazes certains membres du corps diplomatique : « Pozzo di Borgo est un misérable. Au reste, Stuart, quoiqu’il soit bien depuis un an, ne vaut guère mieux et je dirais d’eux, comme un Gascon de deux frères : Je voudrais assommer l’aîné à coups de cadet. »

Le 26 janvier, de Serre part tristement pour le Midi, laissant le ministère désemparé. Jamais Decazes n’a été plus violemment attaqué. Une révolution vient d’éclater en Espagne. Elle sert de prétexte à des accusations calomnieuses. C’est le favori, c’est sa politique inepte et funeste qui ont déchaîné partout l’esprit révolutionnaire et bonapartiste. « Je t’ai vu, pour la première fois,