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depuis celles dont un certain Mémorial de famille[1], lu avec beaucoup d’intérêt à Québec, me retraçait les vertus domestiques. La dame d’autrefois, qui faisait ses délices des études philosophiques d’Auguste Nicolas, qui se défendait Walter Scott comme un péché, qui relisait tout entière, trois fois pendant sa vie, la grande Histoire de l’Église de l’abbé Rohrbacher est loin, très loin, évidemment ; il faut que l’Eglise en prenne son parti, la voix légère de Mme Dandurand et son fin sourire l’affirment. J’ai causé avec elle, et elle m’a conquise, plus encore par sa prudence et par ses réserves que par ses revendications, car, d’abord, cette féministe modérée est épouse et mère, catholique et Française. Elle l’ait partie du Conseil des femmes du Canada présidé par lady Aberdeen, qui se met à la tête de toutes les organisations de charité, mais elle déclare fermement que chaque section de ce comité doit être indépendante et que les membres catholiques, si leurs convictions étaient froissées, se retireraient sur-le-champ d’un terrain hostile. Elle ne se borne pas à le dire, elle l’a écrit dans un petit journal dirigé par elle pendant quatre ans, le Coin du feu, journal soutenu, administré, rédigé uniquement par des femmes. Son apparition avait été presque un scandale ; puis il se lit accepter, et je le comprends, car j’en ai vu plusieurs exemplaires où les intérêts intellectuels et moraux de la famille étaient principalement en jeu, où abondaient les bons conseils donnés avec esprit. D’ailleurs on y citait presque à chaque page les écrivains français ; on y laissait percer quelques illusions naïves sur les hommes politiques de chez nous ; tout ce qui est de France en général y était cité à titre d’exemple ; nous serions mal venus à nous en plaindre.

Donc il existe des femmes de lettres canadiennes ; la première en date fut Mlle Laure Conan : son roman d’un très noble idéalisme, Angeline de Montbrun, prouve qu’elle s’est nourrie d’Eugénie de Guérin ; mais ni la tendresse, ni le sentiment de la nature, ni la passion n’y manquent, et quand on sait que l’auteur écrivait dans la solitude d’une campagne inabordable aux bruits du monde, sans autres inspirations que le grand spectacle du fleuve et le calme rustique de la vie de famille, on n’a pas le courage de reprocher à cette isolée qu’enivre la lecture de quelques

  1. Mémoires de famille. L’Honorable C.-E. Casgrain et Mme Casgrain. Rivière Ouelle. Manoir d’Airvault. Édition essentiellement privée.