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à Montréal, une réaction commence à se produire, et elle vient des femmes. J’en eus la preuve à peine débarquée. On parlait beaucoup de la conférence faite par une jeune Mme Dandurand, fille et femme d’hommes politiques au pouvoir. Elle avait pris prétexte d’une réunion de charité à l’asile de la Providence pour faire un peu de féminisme, sans même reculer devant ce mot discrédité. Le premier journal que j’ouvris me mit au courant de son discours, censé à l’adresse des dames exclusivement, mais qu’entendirent dans l’ombre plusieurs hommes. Elle prévint leurs critiques en déclarant très vertement qu’après avoir été tous féministes, au moins une fois dans leur vie, ils seraient forcés de le redevenir quand, réduits à l’état des vieillards qu’abritait ce toit hospitalier, ils ressentiraient la vérité de la parole de l’Esprit saint : « Malheur à l’infirme qui n’a que des cœurs d’hommes et des mains d’hommes autour de ses douleurs ! » Après leur avoir ainsi fermé la bouche, elle se garda prudemment de faire l’apologie du féminisme de tous les pays, ce mot ne contenant pas un programme fixe et ses tendances variant selon les lieux. Au Canada, l’Etat qui se désintéresse de l’éducation supérieure des filles, de l’assistance publique[1] et des œuvres de bienfaisance en général, s’en remettant entièrement à l’initiative et à la compétence féminine, ne peut honnêtement réprouver des prétentions qui se résument en un mot : être utiles, se rendre utiles de plus en plus. Pour cela il faut que l’on permette aux femmes l’étude. Pourquoi pas ? Fénelon, Mgr Dupanloup, Mgr d’Hulst la leur ont bien conseillée ! Il faut qu’au nom même des enfans qu’elles élèvent on leur permette de lire. C’est une tendance générale, universelle, qui dirige le siècle vers la haute culture ; or cette tendance n’est favorisée au Canada que par les adversaires de la foi. Les catholiques resteront-elles donc dans un état d’infériorité ? Seront-elles forcées, pour en sortir, d’aller chercher dans un milieu neutre ou hostile ce qu’elles ne trouveraient pas dans leur propre entourage ? La question se pose ainsi. Mme Dandurand concluait que l’Université Laval, créée pour l’instruction supérieure de la jeunesse masculine, pouvait et devait assurer aux jeunes filles quelques ressources intellectuelles, celles qu’accorde l’Université protestante et anglaise. En lisant ces réclamations très mesurées, très justes au fond, je pensais que les Canadiennes avaient franchi du chemin

  1. La loi contre la mendicité a toujours été néanmoins très rigoureusement appliquée.