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figures géométriques, elles le consacrent à tracer des patrons pour la coupe des vêtemens. Cette partie de leurs études est même ce qui a donné lieu, durant la visite que je leur ai faite, à une petite scène amusante. J’ai dit que le local qu’elles habitent était compris dans le couvent ; les Ursulines ont l’Ecole normale sous leur aile. Après s’être distinguées en arithmétique, après avoir lu presque sans accent normand quelques pages de Louis Veuillot et m’avoir prouvé que l’histoire nationale ne leur était point étrangère, les futures institutrices passèrent à des exercices plus pratiques. Deux d’entre elles montèrent sur l’estrade surmontée d’un tableau noir, l’une prenant des mesures, marquées sur le tableau, et l’autre, jouant le rôle passif de mannequin ; les chiffres étaient jetés tout haut : tour de taille, tour de poitrine, largeur d’épaules, etc., comme si l’on eût été chez la couturière. De graves ecclésiastiques cependant assistaient à cette démonstration, et au fond de la chambre, derrière une grille, la religieuse de garde allait et venait.

Sur la liste des élèves de l’École normale, je remarquai pour la première fois la préciosité de beaucoup de noms de baptême canadiens : Exilia, Lélia, Lumina, Malvina, Palmyre, Atala, Azilda. Les hommes de la même classe se nomment Zozime, Evariste, Abdon, Télesphore, Zéphyrin, et ceci encore est français du vieux temps. Je songe à deux de mes petits camarades, au village de l’Orléanais où je demeurais enfant : ils portaient des sabots, lui une blouse bleue et elle un bonnet rond, mais ils s’appelaient Alcide et Lasthénie.


III

Jamais je n’ai vu l’institutrice laïque exercer ses fonctions au Canada même, mais ailleurs, elle m’a très fort intéressée. C’était en Nouvelle-Angleterre ; j’y habitai quelque temps, chez une amie, le plus exquisement puritain des villages du Maine. Dans ce village, où les signes d’idolâtrie papiste doivent être en horreur, s’ouvre cependant, à l’usage de quelques Irlandais, une pauvre petite église catholique, régie par un pasteur irlandais lui-même. On m’avait dit que cette population catholique était fort peu nombreuse : je fus donc étonnée, le dimanche, de trouver l’église pleine. Ma surprise fut plus grande encore quand le prêtre, après avoir prêché en anglais, recommença son sermon en français. Je