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de sénevé est devenu arbre ; les sœurs de la Congrégation n’ont pas moins de 25 000 élèves dans leurs écoles de divers degrés qui couvrent littéralement le Canada. N’y a-t-il pas lieu de répéter que les femmes contribuèrent pour une part presque incalculable à la formation de la Nouvelle-France ? C’est la marquise de Guer-cheville, la même Antoinette de Pons dont la vertu avait eu raison des galantes entreprises de Henri IV, qui envoie les premiers jésuites en Acadie (1611) ; c’est la duchesse d’Aiguillon que nous avons vue fonder l’Hôtel-Dieu de Québec, enrichi ensuite par Mme d’Ailleboust ; c’est Mme de la Peltrie qui crée le premier couvent de filles ; c’est Mme de Bullion, la bienfaitrice inconnue, comme on l’appelait, qui aide à l’établissement de cette colonie de Montréal dont on peut bien appeler Mlle Mance et la bonne Marguerite Bourgeoys les mères, sans parler de Mme d’Youville, de Mme Roy et de tant d’autres qui apportèrent leur pierre à l’édifice, se chargeant, celles-ci des filles perdues, celles-là des vieillards et des enfans trouvés. Cette œuvre de patriotisme, d’éducation et de charité accomplie sous des influences religieuses, dans un temps qui n’était pas celui des revendications féministes, sera difficilement surpassée, en quelque lieu que ce soit, par la femme-homme dont nous menace l’avenir et, si l’on tient à ce type-là, il y eut en outre au Canada des guerrières qui ne le cèdent à aucune, témoin Mlle Magdeleine de Verchères qui, à l’âge de quatorze ans, défendit un fort contre les Iroquois.

Verchères est situé sur le Saint-Laurent, entre Montréal et Québec. Le 22 octobre 1690, le seigneur étant de service en ville, sa femme absente aussi et presque tous les autres habitans en train de travailler aux champs, il n’y avait dans la place que deux soldats, deux jeunes garçons, un vieillard, des femmes et des enfans. Magdeleine, sortie avec un serviteur, se vit poursuivie par une cinquantaine de sauvages ; elle courut vers le fort sous la grêle de balles qui, raconte-t-elle naïvement dans son rapport, écrit plus tard à la demande du gouverneur, M. de Beauharnais, « me sifflaient aux oreilles et me faisaient trouver le temps long ». Elle réussit à atteindre le fort, y entre, fait fermer toutes les portes et rétablir les palissades délabrées, puis elle reproche énergiquement leur lâcheté aux deux soldats qui se cachaient et dit à ses deux frères : « Défendons-nous jusqu’à la mort. »

Ces enfans, de dix à douze ans, et les deux mauvais soldats à qui la jeune fille avait communiqué son courage, se mirent à