Le curé détient les registres de l’état civil, il a le droit de visiter les écoles de sa paroisse et d’en examiner les livres. Sa situation présente est à peu près celle qu’il possédait chez nous avant la Révolution. Et, dès leur bas âge, les enfans apprennent que le peuple canadien, cédé à l’étranger, non pas conquis, doit d’exister encore à l’action bienfaisante du clergé, du prêtre patriote qui seul ne l’a pas abandonné ; on lui dit que se dévouer à l’Église, c’est se dévouer à la patrie. La reconnaissance à l’Eglise entre pour une large part dans cette devise gardée par un castor sur les armes nationales : Je me souviens. Il est vrai que la dette est énorme. Le prêtre, on le retrouve à la tête de tout, d’un bout à l’autre de cette histoire si curieuse, si embrouillée par les vagues et arbitraires concessions de territoires que faisaient, chacun de son côté, les gouvernemens de France et d’Angleterre. Tous les deux, pendant un siècle et demi, se disputèrent la propriété de l’Amérique du Nord, l’Angleterre au nom de la découverte des Cabot en 1498, la France en vertu du voyage de Verazzano en 1524, Henri IV, Louis XIII, Jacques Ier disposant à tort et à travers de terres dont ils n’étaient pas bien sûrs d’être possesseurs.
Les récollets, les jésuites, les sulpiciens connaissaient en revanche de visu le théâtre du conflit, s’y étant transportés de bonne heure, associés aux premières découvertes, et mêlés à toutes les fondations : ils dominèrent sans peine les colons, cultivateurs et soldats. J’ai déjà parlé du magnifique régiment de Carignan-Salières qui, envoyé au secours de l’empereur d’Allemagne pour battre les Turcs, s’était couvert de gloire en Hongrie et avait servi sous Turenne ; il se fixa dans la colonie après l’avoir défendue et l’énergie qu’il avait d’abord montrée au feu semble s’être concentrée ensuite sur le devoir d’accroître la population le plus promptement possible. Presque tous les officiers appartenaient à la noblesse, ils reçurent du roi des seigneuries, tandis que leurs hommes se groupaient autour d’eux comme censitaires et « habitans ». Ce mot d’habitant, qui s’est perpétué jusqu’à nos jours, exprime une idée de permanence, de stabilité. L’habitant ne sortait pas sans son fusil, ayant toujours en perspective la chance d’être surpris par les sauvages ennemis, au milieu de ses travaux, trop heureux s’ils lui laissaient le temps de se réfugier dans les forts dont le pays était couvert. Ces ouvrages palissades et armés enfermaient ordinairement l’église et le manoir seigneurial. En cas d’alarme la population s’y entassait et