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Bulgarie ; s’ils contiennent encore plus d’Orient, autrement dit plus de particularisme, que n’en contiennent les royaumes ou Pays de l’Autriche-Hongrie ? Ils ont déjà quelque peine à se tolérer tels qu’ils sont ; comment la Serbie permettrait-elle à la Roumanie de prendre le pas sur elle ; et la Roumanie, comment permettrait-elle à la Bulgarie de la rattraper ? Non ; la Serbie ne laisserait pas passer devant elle la Roumanie, qui ne le céderait pas à la Bulgarie ; et toutes les trois ensemble arrêteraient la Hongrie, qui les rejetterait toutes les trois en arrière. Le jour où l’on s’aviserait de les marier, on les brouillerait à mort, et de ce jour, s’ouvrirait dans les Balkans l’interminable série des compétitions et des hostilités que nous faisons tout pour endormir.

Dans ces querelles, d’abord localisées, l’Europe, puissance à puissance, serait bientôt amenée à intervenir ; la Turquie, que ses victoires sur la Grèce ont secouée de sa torpeur, n’assisterait pas indifférente à l’enfantement d’une Confédération balkanique, ou d’une grande Roumanie, ou d’une grande Bulgarie, ou d’une grande Serbie, ou d’une Hongrie envahissante. La Russie ne souffrirait pas qu’une grande Roumanie vînt la couper de sa clientèle slave des Balkans ; qu’une grande Hongrie accaparât et exploitât cette clientèle ; qu’une Confédération balkanique pût se former, qui ne fût pas sous sa tutelle et de sa suite. L’Allemagne, — tout étant changé par les changemens survenus en Autriche, — pourrait être tentée de reprendre une parole qui, comme toutes les paroles humaines, ne fut dite que pour un temps et de trouver que ceci ou cela, dans la Péninsule ou ses dépendances, vaut bien « les os d’un grenadier poméranien ». Et, de la sorte, nous aurions devant nous une longue perspective d’anarchie et de guerre.

Ce triste avenir de l’Europe, nous y touchons déjà, si le devenir de la Monarchie austro-hongroise reste aussi incertain. L’anarchie autrichienne, si elle s’exaspère et revêt la forme aiguë, c’est, dans un délai qu’on ne saurait fixer, mais trop bref en tous cas, la guerre européenne. — Qui fera donc que cette anarchie ne s’exaspère pas ? Qui donc tirera du cercle vicieux, où elle tourne sans issue, l’Autriche tout ensemble obligée de composer un seul État, fût-il en deux ou trois personnes, ou plus, et décomposée en autant de particularismes que de pays ou de provinces ? Et cependant, ce cercle vicieux, il faut que quelqu’un, de quelque manière, le brise. Il