Dès lors, pour la Hongrie, il n’y aurait plus que deux manières de concevoir et de pratiquer la vie nationale. Ou bien, séparée de l’Autriche, elle demeurerait isolée, au milieu de ces groupes slaves, solitaires eux aussi, mais capables, à un jour donné, de s’unir en haine d’elle ; elle vivrait ou vivoterait comme eux d’une existence humble, qui ne demanderait qu’à se faire ignorer, mais précaire quand même et à laquelle sa médiocrité ne garantirait pas la sécurité : conception et pratique qui ne sont guère d’accord avec le tempérament magyar et la tradition magyare ; misère où souffriraient par trop l’orgueil et le faste magyars. Ou bien, adoptant la tactique qui consiste à prendre la tête des révolutions qu’on ne peut empêcher, afin de les détourner et d’essayer de les conduire, la Hongrie travaillerait de ses mains à nouer cette Confédération des États balkaniques, dont elle s’attribuerait la présidence, de par le droit du plus fort ; mais elle y serait à peine plus forte que tel ou tel des États, ses confédérés, pris à part ; absolument à leur merci, s’ils parvenaient à s’entendre contre elle.
La chose allât-elle d’ailleurs au gré de ses plus grandes espérances, la Confédération balkanique fût-elle fondée, et la Hongrie en eût-elle la direction, non seulement incontestée, mais de longtemps incontestable, que sa condition nouvelle n’équivaudrait pas à celle où elle vit présentement, n’étant même qu’une moitié, — la seconde ou la première, — de la Monarchie austro-hongroise. Car elle est ainsi la moitié d’un grand État européen, tandis que, dans une Confédération balkanique, elle ne serait qu’un petit État, presque extra-européen, elle redeviendrait comme une marche orientale de l’Europe ; et quand sa vanité pourrait être flattée d’exercer quelque part une hégémonie, y trouverait-elle une compensation suffisante à la perte de sa force réelle, de sa force réelle européenne, alors que, depuis des années, son ambition a été de totalement s’européaniser ?
Mais, au surplus, avant de passer outre, — et comme enfin il y a une juste limite, même à l’hypothèse, — qu’on nous dise comment se fera la Confédération des États balkaniques ? comment les Magyars se concilieront Slovaques, Slovènes, Croates et Ruthènes ? comment ils se concilieront et réconcilieront entre eux Monténégrins, Serbes, Bulgares, et Roumains par surcroît ? Si c’est un miracle de l’histoire que de voir se maintenir durant dix siècles et vivre millénaire un État de quelques millions d’hommes, c’en est