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nécessité, pour aller dîner et coucher à Franzensbad, tranquille et comme exterritorialisé dans la neutralité cosmopolite d’une station thermale. Vers le même temps, de l’ouest et du nord, de toute la région allemande qui, couverte d’usines, s’étend d’Eger à Reichenberg, refluaient les ouvriers tchèques, chassés, malgré le bas prix et la qualité de leur travail, réduits à la misère, uniquement parce qu’ils étaient Tchèques. Ailleurs, c’étaient les Tchèques qui se livraient aux pires représailles contre la personne ou les biens des Allemands : les incendies et les pillages de Prague ne les accusent que trop.

À deux ans du vingtième siècle, tout à coup on a revu, en leur brutalité à peine atténuée, des scènes où revivait le moyen âge. Mais c’est aussi que, depuis le moyen âge, le fond des choses et des hommes n’a pas changé, et le paysan de Bohême est aujourd’hui Jeune-Tchèque et radical comme il fut autrefois Hussite. Quelque vastes et riches possessions que la noblesse allemande ait acquises dans le pays, quelque domination sociale qu’elle ait à la longue fondée là-dessus, elle n’a jamais pu rien germaniser autour d’elle : ou bien, venue en étrangère, elle est demeurée étrangère, séparée du peuple comme caste et comme race ; ou bien, plongée dans ce bain tchèque, elle s’est elle-même plus ou moins tchéquisée. La femme tchèque a fait en Bohême ce que la femme cubaine fait aux Antilles, et comme l’une transforme en Cubain un pur Espagnol, l’autre a transformé en Tchèque l’Allemand immigré. Parmi les représentans tchèques de la Bohême, il ne serait pas difficile de citer tel grand seigneur d’origine allemande ; on dit même que l’un d’eux, — et des tout à fait grands, — aime, par un changement de lettres, à donner à son nom que l’histoire connaît bien, mais qu’elle aurait peut-être quelque peine à retrouver sous cette nouvelle forme, un son et une allure tchèques. Somme toute, ces cas ou ces tentatives d’assimilation ne sont que des exceptions et, d’une manière générale, le bloc tchèque et le bloc allemand sont restés, jetés là ou posés côte à côte, sans que le ciment d’une nationalité autrichienne commune et supérieure à tous deux soit venu les relier, les joindre et n’en faire plus qu’un seul bloc.

Condition trop mauvaise pour que le royaume de Bohême ressuscite et puisse faire, entre les deux autres États de la Monarchie, un État. Aux obstacles qui s’opposent du dehors, — c’est-à-dire de Vienne et de Budapest, — à la solution trialiste, ou