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manqué de courage ou de calme. La situation avait beau être grave ; même quasi révolutionnaire, et même tout à fait révolutionnaire, elle n’eût pas été pour effrayer un homme qui, à ses débuts, préfet de Palerme, avait eu à soutenir une guerre de rues et à vaincre une insurrection ; qui l’avait fait avec un sang-froid, un flegme demeurés légendaires ; auquel on était venu raconter, pendant l’action, que sa maison brûlait, et qui s’était contenté de répondre : « Ce qui me fâche le plus, c’est que j’y avais le testament de mon père et que j’y tenais beaucoup. » Devant une grande résolution à prendre, à peine si un mouvement plus brusque eût fait choir son monocle ou dérangé un fil de sa longue barbe blonde. Ce n’est donc pas à cause de ce qu’il avait en face de lui que M. di Rudini a démissionné ; du moins, ce n’eût pas été à cause de cela, s’il eût été sûr de ce qu’il avait derrière lui et à côté de lui. Quoi qu’il en soit, il est parti, et il ne s’est plus agi que de lui donner un successeur. Mais, pour être tout simple, c’est ce qui n’était point du tout aisé.

Qui allait recueillir cet héritage peu disputé ? Avant d’en arriver au général Pelloux, on avait prononcé et examiné plusieurs noms, entre autres ceux de M. Finali, de M. Visconti-Venosta, de M. Sonnino-Sidney. En Italie comme en France, tout est à la « concentration », à la « conciliation », à « l’union » : avec quatre présidens possibles, c’était un seul et même ministère : il n’y avait de différences que des nuances, et ces nuances tiennent surtout aux personnes. Chacune d’elles a ses mérites, et toutes ont des mérites éminens. — Le sénateur Gaspare Finali, qui fut ministre des Travaux publics en 1890-1891, est depuis cette époque président de la Cour des comptes ; on rend un hommage unanime à son caractère, à sa science et à son talent. Humaniste réputé parmi les délicats, il est, par ses goûts mêmes, un magistrat de la vieille roche, et si jadis il s’amusa à traduire en latin classique les passages les plus saillans des discours de M. Crispi, c’est une distraction bien innocente, et de quoi l’on ne saurait lui garder rancune. Il a occupé avec une distinction rare tous les emplois où la fortune l’a appelé, au cours d’une longue carrière, et il n’est pas jusqu’à son optimisme naturel qui n’eût contribué à faire de lui, dans les embarras de l’heure présente, l’homme de la circonstance. Ce n’est pas, comme M. Zanardelli, un intransigeant et son penchant l’éloigné de tous les extrêmes. — De M. Visconti-Venosta, rien à dire, sinon que l’Italie n’avait pas eu, depuis Cavour, un ministre des Affaires étrangères qui ait autant que lui fait figure dans la politique européenne : qui ait autant que lui contribué, tout en restant fidèle aux