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Brisson ? C’est le secret de M. le Président de la République. Admettons qu’il ne soit pas sûr que M. Méline n’ait point été battu, mais M. Brisson, à trois reprises, l’a été authentiquement. M. Méline n’avait pas de majorité, soit, mais M. Brisson a eu trois minorités successives, et ascendantes, — ou descendantes : — deux voix, quatre voix, dix voix. Cette triple pierre pesait sur lui : sont-ce les souvenirs de 1885 qui ont conduit à le réveiller dans son sépulcre et à délier ses bandelettes ? En tout cas, où M. Ribot, M. Sarrien, M. Peytral avaient renoncé, M. Brisson a réussi. Ne dites plus de personne : il est mort. Le ministère Brisson est constitué. Mais l’équivoque n’en est pas dissipée. Elle est, au contraire, plus épaisse. La Chambre voulait, si elle a voulu quelque chose, « l’union des républicains » : M. Brisson ne lui apporte que l’union de certains républicains. Elle demandait un cabinet de conciliation : il lui présente un cabinet homogène d’extrême gauche. Elle réclamait « des réformes démocratiques » : celles qu’annonce M. Brisson ne sont pas plus « démocratiques » que les réformes promises par M. Méline. Point de révision, point d’impôt global et progressif, l’impôt proportionnel et dégressif, à sa base, de M. Paul Delombre. Les progressistes vont interpeller le cabinet ; mais sur quoi ? Son programme est le leur ; il n’y a que les personnes qui ne soient pas les leurs. Radical seulement par les étiquettes, modéré, quant au reste, qui devrait cependant être le principal, c’est le ministère Méline, avec M. Brisson et sans M. Méline. Il va donc falloir que M. Brisson se résigne à avoir les voix de la droite, car il n’y a que les noms de changés ! On se trompe : sous M. Méline, nous n’avions que onze ministres et un sous-secrétaire d’État ; sous M. Brisson, nous avons toujours onze ministres, mais, par surcroît deux sous-secrétaires d’État, et il paraît que nous en aurons trois. La France va être bien heureuse !

En attendant, elle ne comprend plus, et elle se lasse. Elle commence à démêler vaguement, à travers ces incohérences, que le parlementarisme, dans sa forme actuelle, se décompose un peu plus chaque jour, et que « tout cela s’en va » chaque jour un peu plus. Vaguement elle commence à appeler ou à souhaiter de nouvelles formes, qui rétablissent l’ordre en cette anarchie, remettent de l’équilibre en cet affolement, refoulent le débordement du médiocre et de l’absurde, sauvent le bon sens, la bonne foi, la paix civile et la liberté. Et ceux qui regardent au-delà des frontières commencent à douter si le mal politique dont se plaignent les nations latines ne viendrait pas de ce qu’elles ont emprunté, sans savoir se les adapter, des institutions