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Mais MM. Sarcey et Faguet ont admiré votre quatrième acte. Eh bien, tant mieux : que vous faut-il de plus ? Ce sont des hommes doux, bien meilleurs que moi, et qui ont coutume de découvrir, chaque saison, dans les pièces qui leur sont soumises, une bonne douzaine de « scènes supérieures » et de « scènes de premier ordre « . J’estime tout naturel que vous ayez plus de confiance en eux qu’en moi et que vous mettiez leur jugement fort au-dessus du mien : mais enfin c’est le mien, et non le leur, que vous me demandiez, quand, avec l’espoir effréné que je vous trouverais du génie, vous m’avez convié à la représentation de votre drame et m’en avez même envoyé la brochure.

J’ai donc beau faire, je ne puis deviner à quoi sert, à quoi tend votre tableau synoptique des contradictions de la critique à votre endroit. Ou plutôt il est une leçon, banale mais consolante, que vous en pouviez tirer. Vous pouviez conclure, de cette plaisante confusion et contrariété d’avis sur un si petit objet, à l’incurable vanité des jugemens humains et, par suite, dédaigner mon opinion pêle-mêle avec les autres. Mais vous ne l’avez pas dédaignée ; et, quoique j’eusse préféré l’oublier moi-même (tout cela, au fond, a si peu d’intérêt ! ) me voilà donc obligé de la défendre.

Le public, s’il en a le courage, lira votre « belle scène » et le commentaire élogieux que vous en faites. Je l’ai moi-même relue, hélas ! et j’ai le chagrin de la juger comme au premier jour. La forme en appartient à la plus basse rhétorique, et c’est le luxe le plus indigent de flasques et inexpressives métaphores. Mais le fond est pire.

Vous dites : « A quel moment Prétextat saurait-il que la confession de Frédégonde n’est pas sacramentelle ? » Mais au moment où l’étrange pénitente lui annonce, avec un fracas insolent, et des bravades, et des cris de haine, qu’elle va faire assassiner Mérovée. Vous alléguez que Prétextat est trop troublé, à ce moment-là, « pour débrouiller un problème de casuistique ». Ah ! il n’est pas compliqué, le problème ! La question est, exactement, de savoir si une personne est dans les conditions requises pour la confession sacramentelle dans l’instant où elle se vante d’avoir préparé un assassinat, et où elle déclare, avec la plus furieuse insistance, qu’elle va l’accomplir. Mais il parait que Prétextat, vieux prêtre, blanchi dans le saint ministère, et plein d’une terrible expérience, — d’ailleurs préparé au choc par les précédens aveux de la reine, déjà si semblables à de cyniques défis, — doit être surpris par sa dernière révélation, au point d’en perdre subitement et complètement la tête. Et vous appelez ça, bravement, « la vérité comme dans la vie » !