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graduellement, et en prenant bien soin de régler la progression de ses ironies et de ses bravades sur le trouble toujours croissant de Prétextat ; et quand, à deux reprises, plein de doute et de terreur, il s’écriera : « Qui donc es-tu ? — Qui je suis ? répondra-t-elle…

Mais je ne suis rien qu’une femme coupable,
Que le remords prosterne à vos genoux sacrés !
— Qui je suis ?… Je suis la femme au cœur contrit
Qui demande un pardon promis par Jésus-Christ !

De quel droit le confesseur affirmerait-il que cette femme ne vient pas chercher l’absolution ?

Le seul fait de se présenter au Tribunal de la pénitence n’implique-t-il pas ce repentir, ce désir du pardon qui, dit M. Lemaître, sont les conditions essentielles d’une confession sacramentelle ?

Qu’à ce début de la confession l’embarras, le trouble, l’égarement de Prétextat soient extrêmes, je le conçois, et je l’ai voulu ainsi ; mais, jusque-là, rien ne lui permet d’affirmer que sa pénitente n’est pas dans l’intention de recevoir le sacrement.

Est-ce donc quand Frédégonde lui annonce qu’elle va faire assassiner Mérovée que le vieux prêtre doit recouvrer son sang-froid ?

— Mérovée va mourir !… Et c’est toi qui l’as trahi !… Et c’est Lother qui le tuera !

Le beau moment, pour débrouiller un problème de casuistique !

Plus tard, oui, quand Frédégonde sera partie et que le calme, un calme relatif, sera revenu dans l’esprit de Prétextat ; mais pour l’instant, rien ne subsiste en lui que cette terrifiante pensée : Mérovée va mourir ! mourir comme sont morts Sighebert et Galswinthe ! Et il pleure, et il supplie, et il se désespère, non pas comme un homme touché du vent de « l’imbécillité », mais comme un homme touché du vent de l’épouvante et de l’horreur !

Certainement, en dépit du précepte d’Aristote qui recommande de laisser quelques faiblesses aux héros, j’aurais pu imaginer, sans absurdité, un Prétextat que les révélations de Frédégonde eussent trouvé de bronze, et qui, de son siège de confesseur, eût découvert, avec la même sûreté de coup d’œil que M. Lemaître de son siège de spectateur, une issue à l’impasse où croyait l’enfermer Frédégonde !

Mais quelle énormité morale, physiologique, historique ou dramatique y a-t-il à ce que Prétextat, au lieu d’être de bronze, soit tout simplement en chair, comme nous ?

Car enfin, il faudrait s’entendre : pas un jour ne se passe sans qu’on ne réclame pour le théâtre la vérité I la vérité comme dans la vie !