Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il s’obstine à l’aimer, et il se console en pensant qu’il la reverra dans la saison où les nuits sont les plus longues.

Tout cela est certain, avéré, et pourtant, le livre de M. Waliszewski en fait foi, il n’est pas vrai de dire qu’une fatale rencontre a décidé de la destinée du grand Sobieski, qu’une femme perverse et médiocre l’a perdu ; il s’est perdu lui-même, son malheur était en lui. Si Marie de Gonzague n’avait pas eu la fâcheuse idée d’emmener en Pologne, dans ses bagages, une petite fille de quatre ans, selon toute apparence, la destinée de Jean III n’eût pas été sensiblement différente, et rien ne prouve que son règne eût fait époque dans l’histoire de son pays. Marysienka ne l’a point corrompu ; il y avait de la pourriture dans ce fruit, ce n’est pas elle qui l’y a mise : « Ils étaient faits l’un pour l’autre, dit M. Waliszewski. Ils se complétaient, avec des qualités et des défauts inégaux, dissemblables, mais concordans, des affinités morales évidentes. » Ils ont passé leur vie à se quereller, un instinct secret les rapprochait. Peut-être l’eût-il moins aimée s’il n’avait retrouvé en elle ses infirmités et ses misères.

Il ne la connaissait pas encore lorsque, adolescent, il désespérait sa mère par ses folies. Homme fait, il aura de brusques élans et de brusques défaillances, de sublimes départs et de déplorables retours. D’un jour à l’autre on ne le reconnaît plus. Nature molle, esprit flottant, ce qui lui manqua toujours ce fut la tenue, la consistance du caractère, la volonté. Après avoir passé trois mois dans les camps, il annonce à Astrée qu’il entend se reposer et s’amuser un peu, que, quittant ses soldats, qu’on laissait sans solde et sans pain, bravant les intempéries de la saison et l’insécurité des routes, il traversera toute la Pologne pour la revoir, et il lui donne rendez-vous à Bromberg : « Si je suis encore digne de vos caresses, c’est le moment de me le montrer ; car, si je devais éprouver encore une déception, elle serait la dernière. Je rendrais alors à une autre que vous toutes mes pensées, tout mon amour et ce qui me reste d’une santé déjà ébranlée, — non à une créature, certes, je n’en trouverais pas d’aussi désirable, mais à une maîtresse qui, elle du moins, a récompensé jusqu’à présent les efforts que j’ai faits pour la conquérir. Elle s’appelle : la gloire. Choisissez, madame, et voyez s’il vous plaît de conserver votre Céladon. » Elle ne craignait pas que la gloire le lui prit, elle était sûre qu’il lui reviendrait, qu’il avait à de certains jours l’imagination épique, que cela ne tirait pas à conséquence, qu’il ne songeait le lendemain qu’à jouir de la vie, que cet oiseau de vol haut, mais inégal, après avoir pointé vers le ciel, redescendait bien vite dans les régions basses, où il respirait