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Avant d’être reine, son rêve était de s’enrichir en un tour de main, de rendre à Louis XIV des services assez sérieux pour qu’il les payât d’un tabouret, et de retourner bien vite en France après avoir repris le marquisat d’Époisses aux mains rapaces du grand Condé. Louis XIV l’avait jugée : « Je vous avoue, écrivait-il le 17 juillet 1669, que la manière d’agir de la grande maréchale, qui est née ma sujette, et qui m’a très fort tenu le pied sur la gorge dans l’absolu besoin qu’elle voyait ou croyait que j’avais de son mari, et toutes ses indiscrètes, imprudentes et audacieuses expressions me sont demeurées dans l’esprit et dans le cœur… Je ne puis ôter de ma mémoire les belles paroles que cette femme disait à M. l’abbé Courtois : Point d’abbaye, point de quartier ! Point d’Époisses, point de quartier ! point de telle autre chose, point de quartier ! » Devenue reine, elle n’aura que de médiocres ambitions, et les misères passeront toujours avant le reste. Lorsqu’on traite avec l’ambassadeur de France, Sobieski expose ses besoins et ses désirs : il demande qu’on lui fournisse des subsides pour en finir avec le Turc, qu’on lui assure l’alliance de la Suède contre le Brandebourg, qu’on l’aide à recouvrer les provinces perdues. Que demande Marysienka ? Elle exige qu’on fasse son père duc et pair, qu’on donne un régiment à son second frère, le comte de Maligny, qu’on chasse de la maison du marquis d’Arquien un domestique allemand qui le vole. Voilà sa politique étrangère. En ce qui concerne l’intérieur, elle ne s’occupe que « des revenans bons, des parties casuelles » sur lesquelles peuvent compter les reines de Pologne ; elle achète, elle revend, elle marchande, elle trafique, et ses grandeurs ne lui servent qu’à faire prospérer ses négoces et ses usures.

Petit cœur, petit esprit, cerveau de petit volume, elle a le culte de son moi, et son moi est fort petit. Il ne lui est jamais venu à l’idée qu’elle avait épousé un grand homme et que les grands hommes sont nés pour donner au monde de grands spectacles. Elle attendit que Sobieski fût roi pour se douter qu’il était quelqu’un et se décider à le prendre au sérieux ; encore n’y paraissait-il guère. Aussi vaniteuse que cupide, elle avait la prétention de tout savoir ; peu s’en fallait qu’elle ne donnât au vainqueur de Chocim des leçons de stratégie. Il a délivré Vienne et son nom est dans toutes les bouches ; elle le traite de haut en bas, épilogue sa conduite, le gronde, le chicane : « Je suis malcontente de vous ». Il a la candeur de se justifier : « Je me tue, pauvre malheureux, à déchiffrer moi-même vos lettres, pensant y trouver quelque chose d’aimable, d’agréable, de consolant ; rien ! Tout ce que je fais est mal ; tout ce que je ferais serait mal toujours. » Et