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sûr d’avoir découvert le secret mobile de toutes les actions de Marysienka et le sens caché de toutes ses paroles, d’avoir toujours pénétré dans les derniers replis de cette âme tortueuse. Mais ce qu’il nous apprend de certain sur elle nous suffit pour savoir exactement ce qu’elle était et ce qu’elle valait. Nous renvoyons à son livre, aussi instructif qu’attrayant, ceux qui désirent connaître le détail d’une vie très agitée, très riche en aventures, où les scènes vives, piquantes, un peu crues, ne manquent point ; il y a des récits qu’on gâte en les abrégeant. Au surplus, ce qui me paraît plus intéressant encore que tel épisode de la biographie de Marysienka, c’est une question qui a été posée et agitée à son sujet, et que M. Waliszewski nous met à même de résoudre.

Jean Sobieski fut un de ces hommes extraordinaires, à la fois compliqués et incomplets, que les Allemands qualifient de « natures problématiques ». Qu’il fût un héros, que dans ses heures d’inspiration il eût le génie de la guerre, personne n’en doute. Il se signala par des actions d’éclat, par d’étonnantes prouesses qui lui valurent l’admiration de toute l’Europe. On le vit, avec une armée de 40 000 hommes, tenir tête sur les rives du Dniester à des forces quatre fois supérieures : « Nous les prendrons ! Coupez-moi la tête si nous ne les prenons pas ! » Il tint parole, et dans la glorieuse journée de Chocim, le 10 novembre 1673, il remporta contre toute attente une victoire décisive sur les Ottomans ou Tatares qui se croyaient déjà les maîtres de la Pologne, et la Pologne respira.

Il se montra plus grand encore en 1683, lorsqu’il délivra Vienne assiégée par le Turc. L’empereur Léopold, Charles de Lorraine, les princes allemands le suppliaient de se hâter ; on le conjurait d’arriver seul, si ses soldats n’étaient pas prêts : sa présence vaudrait une armée. Des fusées de détresse, les appels désespérés du tocsin, les prières et les cris d’angoisse d’une population agenouillée devant les autels annonçaient que Vienne était réduite aux dernières extrémités. Tout à coup, au nord-est de la ville, sur les hauteurs du Kahlenberg, on vit se déployer un immense étendard rouge avec une croix blanche ; l’armée de secours arrivait, et bientôt les Turcs s’enfuirent, laissant dix mille cadavres sur le terrain. Vienne, l’Europe, la chrétienté, la civilisation étaient sauvées, et c’était vraiment Sobieski qui avait tout fait. Allemands et Polonais se pressaient autour de lui, ils léchaient l’écume qui couvrait son cheval ; on pleurait de joie, on criait : Notre roi ! le brave roi !

Comment est-il arrivé que ce héros, qui a fait de si grandes choses et rempli l’Europe de son nom, n’ait jamais su tirer parti de ses