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L’unification intérieure de l’heure a été nécessitée par le progrès dans la rapidité et l’étendue des communications. Des hommes et non pas seulement des hommes d’affaire, que le train rapide réunit en quelques heures, qui correspondent en quelques minutes par le télégraphe et qui conversent directement par le téléphone, sont vraiment comme les habitans d’une même cité. Ils ont besoin de s’entendre au moins sur l’heure qu’il est. De là la substitution de l’heure normale à l’heure locale.

Avant d’être imposée par la loi, elle avait commencé de l’être par l’usage. Beaucoup de villes n’ont pas attendu l’obligation légale pour prendre l’heure de Paris ; Bordeaux, par exemple, l’a adoptée depuis le 1er mai 1889. Ailleurs, en général, il y avait coexistence de l’heure locale et de l’heure du chemin de fer. C’était une gêne et une source de confusion.

Ce n’est pas tout. Au lieu de deux heures discordantes, dans beaucoup de cas, il y en avait trois : l’heure locale, l’heure de Paris, et l’heure des chemins de fer qui est l’heure de Rouen. C’est en effet une particularité unique qu’à Paris même, — et d’ailleurs par une désobéissance formelle à la loi de 1891, — l’heure du chemin de fer retarde de cinq minutes sur l’heure de la ville, l’horloge intérieure, sur l’horloge extérieure. Il n’y a qu’une ville où il n’en soit pas ainsi ; c’est Rouen. Le méridien de la capitale normande est en effet à 1° 14’ 32" à l’ouest de Paris ; ce qui correspond à un retard de 4’58" sur l’heure.

Il est donc permis de dire que l’heure régulatrice des chemins français est l’heure de Rouen. C’est une coïncidence, que l’on n’avait pas cherchée. On avait tout simplement voulu donner cinq minutes de grâce aux voyageurs parisiens. Dans aucun autre pays, il n’existe rien de pareil. Il serait raisonnable de supprimer cette bizarrerie. On la conserve, mais personne ne la défend plus. La réforme en projet fournirait une occasion naturelle de la supprimer.

L’heure locale, en disparaissant, a laissé des regrets. Elle seule était rationnelle et naturelle. Son unique tort était de ne pouvoir se prêter aux exigences du mouvement moderne. Au contraire, l’heure normale unique est artificielle ; on lui reproche d’être en opposition avec la vérité scientifique, puisqu’elle tend à faire croire au public qu’il peut être midi au même moment, sous des longitudes différentes. Elle est nulle et non avenue pour les astronomes ; un observatoire ne saurait avoir d’autre heure que celle qui correspond à son méridien.