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Le public s’obstinait à exiger des montres et des horloges qui fussent d’accord avec le soleil ; ce qui est une chimère. Il faudrait combiner des chronomètres extrêmement compliqués dont l’irrégularité systématique fût sensiblement la même que celle du soleil. C’est à quoi précisément s’essayaient avec plus ou moins d’ingéniosité et de succès les habiles horlogers du commencement du siècle, tels les Lepaute et les Le Roy. Leurs « horloges à équation » étaient des mécaniques très remarquables, mais au regard des hommes compétens fort inutiles. Les éphémérides solaires les remplacent avec un grand avantage de précision.

Les astronomes proposèrent donc de conserver aux horloges la régularité qui est leur principe même, et de substituer au jour solaire inégal un jour égal, qui en différât très peu et dont la durée fût sensiblement la moyenne des jours solaires réels de toute une année. Ils ont imaginé un soleil fictif parcourant l’équateur céleste, d’un mouvement uniforme, dans le même temps (jour solaire moyen) que l’aiguille de l’horloge normale en parcourt le cadran tout entier. Ils le font partir du point équinoxial de printemps un peu après le soleil réel, à un moment qui est précisément choisi parce que la marche de ce soleil imaginaire diffère le moins possible de celle de l’astre réel. C’est ce soleil fictif équatorial qui fixe le temps moyen et règle nos horloges depuis 1816.

La réforme aurait pu s’accomplir dès la fin du XVIIe siècle, puisque c’est en 1672 que le premier directeur de l’observatoire de Greenwich, Flamsteed, a fourni les moyens de calculer la marche du soleil moyen fictif par rapport au soleil vrai. Elle n’a eu lieu, comme nous l’avons dit, qu’un siècle plus tard. Le public tient a ses habitudes. Lorsqu’en 1816, M. de Chabrol, préfet de police, décida de suivre l’exemple des Anglais, des Prussiens et des Suisses et de régler les horloges de Paris sur le temps moyen, il put craindre, comme le rappelait Arago, que la population ne s’insurgeât contre un changement qui choquait ses préjugés. Il n’y eut pas de prise d’armes ; le peuple ne prit point parti pour le vrai soleil contre le soleil moyen. Il avait supporté de plus grands changemens.

D’ailleurs ce n’est qu’au prix de cette substitution du temps moyen au temps vrai que l’on pouvait obtenir une précision plus grande dans la détermination de l’heure. Des instrumens que l’on retouchait sans cesse sous prétexte de les rectifier d’après le soleil marchaient fatalement très mal. L’astronome Delambre