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1879 et avait trouvé à Banana un vapeur belge qui l’attendait chargé de marchandises : il remonta le bas fleuve sans rencontrer de grandes difficultés et fonda la station de Vivi, en février 1880. En amont de ce point, commençait la région des chutes ; c’est là que Stanley eut à soutenir contre les forces de la nature une lutte de Titan qui dura dix-huit mois ; il fallut hisser et descendre le long de falaises de 600 mètres de hauteur les pièces des steamers démontables. Si grandes que fussent les ressources dont il disposait, son énergie et son opiniâtreté furent plus grandes encore. De Ngoma où nous l’avons vu rencontrant Brazza, il dut mettre sept mois pour atteindre le Pool… Ce fut avec une amère déception qu’après tant de difficultés vaincues, Stanley, arrivant sur le lac, aperçut flottant sur la rive droite le pavillon français gardé par le sergent Malamine et ses trois laptots. Les chefs noirs, fidèles à la parole donnée à Brazza, arborant tous nos couleurs, s’apprêtaient à traiter en ennemi l’agent du comité d’études. Malamine le couvrit de sa protection, ce qui fut bien dur à la fierté de l’impérieux explorateur. Après quelques tentatives d’intimidation, Stanley, dépité, quitta la rive droite du Pool et passa sur la rive gauche où, grâce aux intrigues d’un chef noir, il put fonder sur un territoire qui nous avait été cédé la station de Léopoldville ; c’était en décembre 1881, quatorze mois après la création de notre poste de Brazzaville. Deux pavillons devaient flotter dorénavant face à face de chaque côté du Pool : sur la rive droite, le drapeau français représentant notre droit d’accès au haut fleuve ; sur la rive gauche, le pavillon bleu à étoile d’or adopté par l’Association internationale Africaine, conservé par le Comité d’études et qui devait être celui de l’Etat Indépendant. Nul doute que, si Brazza n’eût pas devancé Stanley, le bassin du grand fleuve ne fût entré tout entier dans le domaine du Comité d’études.

Le Congo Français avait été créé par la ténacité de Brazza, triomphant des tergiversations et des maladresses de nos gouvernans ; notre politique fut telle en cette circonstance que plusieurs fois nos rivaux purent croire qu’en France l’opinion publique n’était pas avec l’intrépide explorateur ou se désintéressait de son entreprise ; ironie cruelle pour celui qui avait refusé les offres magnifiques du Comité d’études afin de servir la cause de la pénétration française en Afrique ! Mais la véritable œuvre de Brazza, moins connue que ses premiers voyages d’exploration, est