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premier marché du monde pour ce produit exotique. Des enchères trimestrielles y ont été organisées depuis 1888, et elles ont obtenu très rapidement la confiance des acheteurs ; il a été adjugé, à chacune des ventes de 1895, une moyenne de 70 000 kilog. d’ivoire ; ces chiffres ont augmenté depuis cette date. Le temps n’est plus où Pline écrivait que les dents d’éléphans étaient une précieuse matière devant être réservée pour les statues des Dieux. L’ivoire est employé par l’industrie moderne à la fabrication d’objets moins relevés : manches de couteaux, 177 000 kilogrammes ; claviers, 162 000 ; peignes, 91 000 ; billes de billards, 49 000 ; divers, 34 000. Si l’on ajoute à ces chiffres les 121 000 kilog. que consomme l’Inde et les 13 000 qu’importe la Chine, on arrive au total général de 647 000 kilog., qui représente l’approvisionnement annuel du monde. En regard de cette consommation, il faut se rappeler ce fait qu’il n’y a dans le monde entier que trois régions d’ivoire : l’Afrique, les Indes et la Sibérie (où l’on déterre l’ivoire fossile des mammouths). On est alors effrayé du nombre d’éléphans qu’il faut exterminer chaque année pour suffire aux besoins d’un tel commerce et l’on se demande si l’espèce n’est pas menacée d’une rapide disparition[1]. Cette crainte, paraît-il, n’est pas justifiée, du moins pour le présent, à cause du nombre prodigieux de ces pachydermes existant dans le bassin du Congo. Le véridique Livingstone raconte qu’il lui est arrivé une fois d’en compter jusqu’à 800 qui se trouvaient en vue. Le moins véridique Stanley affirme avoir été témoin d’un défilé de 1 500 de ces animaux qui commença à six heures du matin et ne fut terminé qu’à une heure de l’après-midi ; il assure que bien des générations passeront avant que l’ivoire ait disparu de l’Afrique. Parmi les mesures qui contribueront à la conservation de l’éléphant en Afrique, la première consiste à interdire aux noirs l’usage des armes perfectionnées, la seconde est de soumettre la chasse faite par les blancs à une réglementation sévère.

Ce serait une erreur de croire que le commerce de l’ivoire doive toujours conserver l’importance qu’il a aujourd’hui ; lorsqu’une voie de communication aura relié le Stanley-Pool à l’Océan, il ne donnera qu’un bénéfice accessoire, comparé à ceux réalisés sur les autres produits africains et principalement sur le caoutchouc. Le caoutchouc est peut-être la plus grande richesse du

  1. Au sud de l’Afrique, l’ivoire a presque totalement disparu, et le Cap n’en exporte que dans une proportion insignifiante.