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leur folle exagération, rendu possible le triomphe de ses ennemis.

— Mon frère, lui dit le Comte d’Artois, vous voyez où l’on vous mène.

— Oui, mon frère, répondit-il ; j’y pourvoirai.

Cette réponse fut d’abord interprétée comme la promesse d’un changement de système. Mais ce n’est pas cela qu’elle signifiait, ainsi que le prouve ce que le Roi mandait le même jour à son confident :

« Tu as eu, mon cher fils, toute raison de penser que l’élection de Grégoire me ferait beaucoup de peine, car c’est un scandale. Mais c’est une consolation pour moi de penser qu’un jour l’histoire qui, à la longue, ne flatte personne, dira à qui nous sommes redevables d’un pareil choix. Déjà, je me suis donné le plaisir de le dire au chancelier Dambray, en lui annonçant que le même parti nous donnerait Cotterel à Rouen. Mais ce parti s’affaiblit dans la Chambre, et la masse me fait bien augurer de la session. »

Soit que Dambray eût mal compris les paroles royales, soit que, pour ne pas irriter les ultras en les leur rapportant, il les eût dénaturées, ceux-ci feignirent d’y voir un blâme contre la politique de Decazes. Ils en firent un si grand bruit qu’il vint aux oreilles du Roi. Ne voulant pas qu’on pût se méprendre sur son opinion, il la précisa dans ce billet foudroyant : « Le fat ! Est-ce qu’il croit que, si j’avais réellement peur, je le lui témoignerais ! S’il eût voulu parler vrai, il aurait dit que je lui avais paru indigné de l’élection de Grégoire et que je ne lui ai pas caché l’opinion où je suis que c’est à messieurs les ultras que nous en avons l’obligation. Je l’ai dit parce que je le pense. »

Il n’en est pas moins vrai que l’élection de l’Isère contenait en soi un avertissement et une leçon. Il fallait à tout prix arrêter la marche ascendante de la gauche que favorisait par trop le renouvellement partiel et annuel de la Chambre. Dans le ministère comme en dehors de lui, on en revenait à l’idée d’une réforme électorale qui supprimerait ces élections annuelles et y substituerait un renouvellement intégral tous les sept ans. On ne voyait pas alors de plus sûr moyen de conjurer un péril sur lequel il eût été bien imprudent de fermer les yeux. C’était l’opinion de Decazes ; c’était aussi celle de de Serre et de Portai. Mais bien différente, celle de Dessoles, du maréchal Gouvion-Saint-Cyr