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déguisés pour pénétrer jusqu’à lui. Il était rare cependant que les conjurés vinssent le jour. Il existait du reste à Villiers une cachette sous le plancher de la grande chambre ; M. de la Rouerie ne s’est jamais servi de cette retraite, mais elle eut pu lui être utile en cas de surprise.


Ces précautions n’étaient pas superflues ; le directoire d’Ille-et-Vilaine n’avait pas, en effet, renoncé à découvrir la retraite du chef de la conjuration et poursuivait ses recherches. Les événemens du 10 août avaient ramené bien des indécis à la cause de la révolution : certaines municipalités qui, jusque-là, s’étaient montrées fort tièdes, essayaient maintenant de se faire pardonner, à force de zèle, leur pusillanimité : les dénonciations affluaient : on fouillait les châteaux dans l’espoir d’y découvrir les desservans réfractaires, et c’est ainsi que, le 24 août, la gendarmerie de Vitré se transportait au château de Boisblin, dans la paroisse de Bréal, tout proche de Villiers-Launay et y procédait à l’arrestation de Gervais Tuffin et du major Chafner. Du reste, comme au cours des interrogatoires qu’ils eurent à subir, ils ne révélèrent rien qui pût aider à découvrir la retraite du chef, le directoire du département rendit, après quelques jours de détention, la liberté à ces deux intimes confidens du marquis de la Rouerie.

Celui-ci, dans la solitude de Launay-Villiers, s’exaltait à la pensée de ses futurs exploits ; la résistance à ses ordres qu’avaient montrée certains de ses comités lui apportait bien quelques désillusions ; mais il avait trouvé, dans sa retraite, un disciple ardent et docile, le seul de tous, peut-être, qui comprît pleinement la pensée du maître et partageât son enthousiasme.

Gavard, dont nous avons déjà cité le nom, en venant un jour conférer à Launay avec le marquis, avait pris pour guide, à travers la forêt de Misedon, un faux-saulnier du Bas-Maine, qui, en cette qualité, connaissait tous les sentiers perdus de la contrée. Gavard présenta à la Rouerie l’homme qui s’appelait Jean Cottereau. Comment ce paysan se lia-t-il avec le gentilhomme fugitif ? Il n’y a, de cette rencontre étrange, qu’une explication plausible : tous deux se comprirent au premier abord ; tous deux étaient possédés de la même passion d’aventures, de la même fièvre d’indépendance. Cottereau sentit en la Rouerie un maître digne de lui ; le marquis, de son côté, trouva dans le contrebandier une de ces natures ardentes qu’il aimait, un homme d’une intrépidité folle, d’une endurance fanatique, d’un royalisme désintéressé et farouche, comme il en avait jusque-là trop peu rencontrés, à son