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Voyons donc sur quels argumens se fonde cette revendication, et quels sont, suivant M. Brander Matthews, les caractères originaux de la littérature américaine. Voici d’abord deux professions de foi, l’une énoncée au début, l’autre à la fin du livre. « La littérature, lisons-nous dans la Préface, est un reflet, une expression de la vie ; et comme la vie des États-Unis diffère de plus en plus de la vie anglaise, la littérature des États-Unis ne peut manquer de différer sans cesse davantage de la littérature anglaise. Aussi croyons-nous qu’il y a réellement quelque chose qui constitue l’américanisme, et qu’il y a eu dans notre pays des hommes qui n’auraient pu être d’aucun autre pays, et d’Angleterre moins encore que d’ailleurs. Washington et Franklin, malgré leur différence de nature, étaient l’un et l’autre des types d’Américains ; et pareillement, Emerson et Lincoln, Farragut et Lowell. C’est Lowell qui a vanté, chez le président Hayes, « cette chose nouvelle et excellente que nous appelons l’américanisme », et qui l’a définie « une dignité de la nature humaine qui consiste à refuser d’admettre qu’aucune distinction artificielle puisse donner à un homme plus de valeur qu’à un autre ». Cet américanisme a marqué de son sceau les écrits de nos auteurs nationaux. » Et non moins explicite est la Conclusion. « Nos écrivains, y dit M. Brander Matthews, ont désormais perdu leur attitude coloniale ; ils ont cessé de chercher la lumière en dehors de leur pays. Ils savent que la littérature américaine a le devoir de se développer dans une voie qui lui est propre, et conformément à son propre génie. Ils se rendent compte que l’Amérique n’a plus à dépendre de personne, qu’elle peut et doit marcher de pair avec le reste du monde. » Et M. Brander Matthews va plus loin encore, dans l’ardeur de son nationalisme. « Les États-Unis, nous dit-il, comptent dès maintenant plus d’hommes que l’Angleterre ; ils ne lui sont inférieurs ni en force, ni en courage, ni en rien : et tout porte à croire que dans l’avenir ce seront les Américains, et non plus les Anglais, qui seront reconnus comme tenant la tête des nations de langue anglaise. »

Tels sont les principes à l’aide desquels M. Brander Matthews entreprend l’histoire de la littérature américaine ; et à toutes les pages de son livre nous en retrouvons l’effet. Les divers écrivains qui passent tour à tour sous nos yeux nous sont présentés comme les ouvriers successifs d’une même œuvre ; pareils aux maîtres-maçons qui, tour à tour, ont travaillé à construire la cathédrale de Cologne, ils travaillent tour à tour à constituer la littérature américaine. L’un apporte un nouveau style, l’autre de nouvelles idées : mais tous n’ont de mérite qu’en proportion de la part qu’ils ont accomplie du travail commun ;