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et Bossart, sont aussitôt montés à cheval et ont suivi leur maître. »

Le commissaire comprit que Deshayes s’en tiendrait à ces discrètes révélations et n’insista pas : il estima plus urgent de découvrir la retraite de la Rouerie ; le marquis ne pouvait être bien loin, si même il était vrai qu’il eût fui. Hévin ne perdit pas un moment : il était une heure du matin ; il monta à cheval, se mit à la tête des dragons rennois et arriva, vers trois heures du matin, au château de la Rouerie : il n’y trouva qu’une dizaine de domestiques qui, interrogés individuellement, ne firent aucune révélation nouvelle. Tous déposèrent que leur maître était parti, le mardi 29, vers quatre heures de l’après-midi, en compagnie de douze ou quinze personnes formant sa société habituelle.

Seul le valet de chambre Pierre-Charles Boujard, fut loquace. Il raconta que, depuis longtemps, « il était occupé à servir une quantité d’étrangers qui allaient et venaient journellement et nuitamment : ils appelaient le marquis mon général et buvaient à sa santé. » S’il n’a pas déjà révélé ces faits à la municipalité de Saint-Ouen, c’est « parce qu’une femme, tenant auberge au village, le prévint que, s’il avait le malheur de dire un seul mot de ce qui se passait sous ses yeux, il serait chassé sans paiement et courrait risque d’être tué d’un coup de fusil à travers les hayes. » Il cita les noms de quelques-uns de ceux qui venaient au château le plus fréquemment : Faligan, fils d’un tailleur de Hennés ; Magnin, instituteur dans cette même ville ; Rasmeur, de Vannes ; de Blossac ; un ci-devant abbé appelé Gardel. Tous mangeaient à la table du maître avec les dames, Pontavice, Chafner et le fils naturel de la Rouerie : ces derniers avaient quitté le château avec le marquis. Boujard ajouta qu’il était « mal vu par les autres domestiques : il avait voulu se sauver et était déjà au bout de la rabine quand le jardinier se saisit de lui et le ramena au château. Le marquis le fit mettre en prison dans une chambre où il était gardé à vue, et menaça de le faire pendre dans sa cour lorsque les affaires seraient arrangées. Il resta ainsi au cachot pendant trois mois et demi : il parvint enfin à sortir eu dévissant la serrure : repris aussitôt, il fut souffleté par la femme de chambre de Mlle de Moëlien, pendant que deux autres domestiques le tenaient. »

Après s’être étendu sur les prétendues persécutions qu’il avait souffertes, le valet revint aux rassemblemens dont il avait été témoin, assurant que le marquis, outre les vingt sous par jour qu’il