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équivoques, nous allions dire des quiproquos, dans beaucoup de départemens où l’on avait l’habitude d’épier et de saisir, sur les lèvres de ce fonctionnaire, un écho fidèle des pensées préfectorales. On trouverait à la campagne, parmi cette masse de braves gens persuadés qu’on n’a bien voté que si l’on a voté avec le gouvernement, un grand nombre qui, sur la foi de Monsieur l’instituteur, ont donné leur confiance au candidat de M. Bourgeois, en croyant (Dieu leur pardonne ! ) que c’était celui de M. Méline et du préfet. Pouvaient-ils supposer qu’il y eût divergence entre les vœux électoraux du pouvoir central et les vœux électoraux du maître d’école ? Les radicaux et les socialistes ont bénéficié de cette piperie ; mais la dignité des instituteurs en a évidemment pâti. « Ne vous laissez pas prendre par le bout du doigt dans l’engrenage de la politique militante, disait M. Jules Ferry au Congrès pédagogique de 1881. Il vous aurait bien vite emportés et déconsidérés tout entiers. » Les disciples de M. Ferry, et peut-être lui-même, les engagèrent pourtant dans cet engrenage ; ils y sont emportés, vertigineusement ; et leur considération en souffre. Je plains, et de toute mon âme, ces maîtres d’école du Calvados, qui racontent aux bambins, durant la première heure de la classe, qu’ils auront sept ans de service à faire si M. Jules Delafosse est élu par leurs papas[1], et qui, durant la seconde heure, font peut-être une leçon de morale sur le mensonge : ils doivent sentir, les malheureux, que le rôle d’agent électoral et le rôle d’éducateur sont désormais incompatibles.

Il fut une époque, — et pas bien lointaine, — où le gouvernement de la République dénonçait amèrement l’hostilité électorale des curés : on en faisait grand bruit, et l’on sévissait. Aux dernières élections, dans beaucoup de communes, c’est l’instituteur, c’est l’ « anti-curé », qui a mené la bataille contre le gouvernement ; mais il se peut faire que la République modérée rende à ses fonctionnaires indulgence pour violence. On la dirait gênée pour se plaindre d’eux ; et, de fait, si l’on feuilletait l’histoire locale des quinze dernières années, quels rapprochemens curieux s’imposeraient ! Nous n’en voulons citer qu’un seul. M. de Mackau, en 1884, lisait à la tribune de la Chambre une lettre qu’avaient reçue tous les instituteurs d’un département comtois : on leur annonçait la publication imminente d’un journal local, « se

  1. Voir le Gaulois du 21 mai 1898, article de M. Jules Delafosse.