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pédagogiques justement aimées, ils n’attendissent aucune impulsion politique. Mais la scission du parti républicain, commencée par le cabinet Bourgeois, achevée par le cabinet Méline, a déterminé beaucoup d’entre eux à risquer vers l’extrême gauche un pas décisif et, pour la première fois, à faire de la politique en dehors des préfets et à l’encontre des préfets. Le personnel de l’enseignement primaire, créé par les républicains modérés, paraît être devenu majeur au point de vue politique ; sa déclaration de majorité a été une déclaration de guerre aux républicains modérés ; et l’on dirait qu’un certain nombre de maîtres d’école ont remis aux collaborateurs des grandes publications pédagogiques la direction politique de leurs consciences, abandonnée jadis à l’autorité préfectorale.

Au début de cette année, M. Buisson, ancien directeur de l’enseignement primaire, ouvrait à tous les amis de l’enseignement les colonnes du Manuel général, qu’il dirige ; il advint que les deux écrivains qui, les premiers, répondirent à cette invitation, furent M. René Goblet et M. Léon Bourgeois. L’acharnement avec lequel ils combattaient le cabinet Méline leur laissait pourtant le loisir de satisfaire aux instances de M. Buisson. L’on s’explique que celui-ci ait été touché d’un pareil empressement, et les instituteurs plus encore que lui. Ils saisirent, dans la lettre de M. Goblet, une attaque mal déguisée contre le cabinet Méline et contre l’ « esprit nouveau » : M. Goblet censurait « cette bourgeoisie qui se jette, par un retour désespéré, mais peu sincère, dans les bras de l’Eglise pour y chercher un appui ». Notre personnel scolaire est maintenant exercé à comprendre les demi-mots, en politique : M. Goblet fut entendu. Déjà, d’ailleurs, on était prévenu par M. Pécaut, dans le même Manuel, qu’il se produisait « dans l’ordre scolaire le même mouvement d’arrêt ou de réaction qui se remarquait dans l’ordre religieux et dans l’ordre politique, et qui nous conduirait bien loin et bien bas si on s’y laissait aller ». M. Pécaut poussait un cri d’avertissement, et signalait à ses lecteurs de l’enseignement primaire ces législateurs « qui se demandent si l’on n’a pas été trop loin et s’il ne serait pas temps de désarmer ».

A la voix de M. Goblet, succéda celle de M. Bourgeois. Quelques mois auparavant, à la Chambre, il avait prononcé, sur l’œuvre scolaire de la République, l’un de ses plus habiles discours, recueilli les suffrages de la majorité d’antan, de la majorité de