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vie, à la vie, à la pensée universelle, à Dieu même ; mais, avec cela, esprit libre et critique entre tous, incapable d’aliéner sa liberté à une tradition, à un dogme positif, pas plus qu’à une définition philosophique fixe et officielle. » Et l’éloge se poursuivait, avec une onction douloureuse. Ancien pasteur dans la Gironde, comme M. Steeg, et désigné, ce semble, à la confiance administrative par les rares qualités de son tempérament religieux, M. Goy avait formé trois générations d’instituteurs : en Algérie, dans le Tarn, dans la Haute-Garonne.

Il devenait naturel, pareillement, que les guides suprêmes de notre enseignement primaire ne fissent point bon marché de leurs propres susceptibilités religieuses, dans les jugemens qu’ils portaient sur les hommes et sur les choses : c’est ainsi que M. Steeg, en 1891, dans la même Revue pédagogique, mettait quasiment à l’index le Bossuet de M. Lanson ; il en dénonçait les « sophismes », les « manèges », les « contradictions », la « doctrine ésotérique », et il concluait sévèrement : « De tels livres ne sont pas faits pour les instituteurs de notre démocratie, et il est de devoir de les en prévenir. » M. Lanson était frappé d’anathème, ou peu s’en fallait. Mais n’est-ce pas M. Steeg qui, au moment d’entrer dans la carrière politique et pédagogique, prononçait cette parole, rappelée par M. Buisson : « Je me sens plus que jamais, à travers tout cela et en tout cela, pasteur protestant » ?

On peut dire effectivement, avec plus de vérité, peut-être, encore, que ne le pensait M. Steeg, que, par le fait même de leurs habitudes d’esprit, les adeptes du protestantisme libéral semblaient spécialement prédestinés à organiser l’enseignement primaire comme le souhaitait la majorité du Parlement. Il y avait de tout dans cette majorité : des spiritualistes et des positivistes, des matérialistes et des évolutionnistes, des francs-maçons pour qui Dieu n’était qu’un clérical digne d’expulsion, enfin des hégéliens sans le savoir (Taine les eût appelés des jacobins), pour qui Dieu, c’était l’État. Et, devant cet auditoire hétérogène, on multipliait, sur l’esprit des lois scolaires, les déclarations les plus diverses ; on taisait, par nécessité politique, cette simple vérité, que, « pour la première fois, une grande et populaire philosophie, en cela différant de toutes celles qui avaient régné jusque-là et de toutes les églises, conduisait logiquement, inévitablement, à des maximes en contradiction absolue avec les préceptes